L'écologie dans le Douaisis, avec et pour vous !Nicolas Froidure

Les 50 nuances du reste à ta place

Hier soir, à l’occasion d’un covoiturage, je suis revenu avec un ami sur les origines de mon engagement politique. Cela fait déjà (et en même temps seulement), 5 ans depuis que j’ai décidé de militer politiquement.

Cela m’a surtout fait penser aux années qui ont précédé cet engagement. En effet, jusqu’alors j’étais un simple spectateur de la vie politique aussi bien locale que nationale. Comme la majorité des français·es.

Certain·es français·es poussent leur rôle de «PNJ» (Personnage Non Joueur) jusqu’à ne plus voter du tout.

Caractéristiques socio-démographiques selon le comportement de vote La sociologie du vote suggère que cette abstention de voter ou d’intervenir dans le débat public est surtout le fait des classes socioprofessionnelles les plus modestes. Selon l’Insee, le vote systématique concerne deux fois plus de cadres que d’ouvriers et les personnes sans aucun diplôme s’abstiennent systématiquement quatre fois plus que celles diplômées du supérieur.

C’est pourquoi un des enjeux majeurs du camp progressiste est de remobiliser les classes populaires en luttant contre le phénomène de mal-inscription électorale et en favorisant l’implication citoyenne.

Le statut quo, en revanche, est de mise de l’autre côté de l’échiquier politique. Combiné au clientélisme, il permet de s’assurer d’une majorité électorale apte à perpétuer les intérêts d’une minorité gagnante au grand jeu du libéralisme économique.

Volontaire ou subconsciente, la perpétuation d’une inertie politique qui permet de maintenir l’illusion d’une France irrémédiablement ancrée à droite, est parfaitement résumée dans une expression : « reste à ta place ».

Sébastien Le Fol a contribué à populariser l’expression dans son livre idoine, mais s’est contenté de rester à sa place de commentateur en sélectionnant « des personnes qui ont réussi » (Nicolas Sarkozy, Anne Hildago) pour en faire « une éloge de la volonté ».

Or, c’est un biais des survivant·es flagrant qui ne dit rien de toutes celles et ceux qui sont toujours à la place qu’on leur a assigné. Une place qui, en politique, se traduit en abstention ou en vote tantôt qualifié de populiste, contestataire, ou encore, sanction.

Je vous propose donc un nuancier des stratégies du reste à ta place qui font que le peuple continue à agir « contre son camp ». Ce faisant, je formule l’espoir que cela aide à identifier ces impostures pour mieux les contrer.

🔗Apparence

Juger selon les apparences est l’apanage de toutes les cours de récréation dans tous les collèges de France. L’entre-soi politique n’est pas bien différent quand il s’agit de paraitre.

🔗Vestimentaire

Bien que la société ait assez largement ringardisé le conformisme, en politique, la tenue vestimentaire reste un outil précieux du reste à ta place.

L’épisode de la cravate de Yannick Jadot est un exemple parlant. J’ai d’ailleurs regretté que Yannick Jadot ne profite pas d’une campagne présidentielle pour battre en brèche les idées reçues en rentrant dans le rang.

Malgré un port symbolique de la fameuse robe de Cécile Duflot par la députée écologiste Marie-Charlotte Garin, il existe encore des polémiques sur les tenues parfois trop décontractées ou trop colorées au goût des partisan·es de l’entre-soi.

On le voit, finalement, attaquer la tenue est aussi une manière détournée de mettre en cause, le genre et l’origine sociale ou territoriale des personnes visées.

Qu’est-ce que cela peut faire d’assister à un conseil municipal en sandales ?

🔗Morphologique

On méconnaît trop le fameux effet de halo qui veut que tout vous réussit quand vous êtes belle ou beau. On s’en défait (un peu) en luttant contre ses a priori, mais pour certain·es mouvances politiques cela devient une surface d’attaque.

Il suffit de voir les commentaires qui pullulent sur les réseaux sociaux, parfois par des élu·es, sur le surpoids de telle ou telle autre militant·e. C’est souvent le fait de la droite ou de l’extrême droite, mais il m’est arrivé d’entendre une personnalité de gauche exprimer son dégoût face aux politiques "bedonnants".

Cette grossophobie veut que l’on fasse porter aux personnes la responsabilité de leur surpoids. Ici, on suggère l’oisiveté, mais c’est oublier que dans la société, nos métiers ont un impact indéniables sur nos morphologies (à titre personnel, travaillant assis 8h par jour, cela a une incidence sur ma santé et ma morphologie). De même, une personne qui a travaillé dans le bâtiment ou l’agriculture a rarement des mains de pianiste.

Nos milieux sociaux d’origine aussi influent sur notre apparence. Si être aisé ne rend pas beau, cela permet de le rester quand le quidam est marqué par les épreuves traversées. Les tenant·es du statut quo l’ont bien compris et feront volontiers comprendre aux « sans dents » qu’iels ne jouent pas dans la même cour.

🔗Identité

On nous somme également de rester à notre place selon notre identité de genre, de classe, religieuse ou d’origine réelle ou supposée.

Portion d’une photographie de personnes priant autour de Donal TrumpUne image valant mille mots, la photographie suivante montre que le système électoral américain (officiellement sécularisé), multiplie des démonstrations religieuses qui, heureusement, choqueraient en France.

Mais sans forcément brandir leur religion (même si cela arrive parfois localement, notamment un certain Franz Quatreboeufs qui ne manque pas une occasion d’évoquer sa foi dans ses prises de position politique) il arrive qu’on pointe aussi parfois du doigt celle des autres (voire que l’on colporte des rumeurs sur l’obédience d’untel selon l’adage qui veut qu’il en restera toujours quelque chose…).

Une autre façon de commander de rester à sa place est l’étalage des titres. Ainsi, on s’envoie du « maître » dans le contexte du conseil municipal Douaisien, mais, selon les locuteur·ices, pas toujours, notamment quand leur genre est féminin, ce qui en dit long sur le sexisme latent, au sein même de cette instance.

Longtemps, il a été fait le procès à ma compagne élue au conseil municipal d’avoir été « placée », comme si elle n’avait pas de volonté propre, étant « femme de » (toujours par ce même Franz Quatreboeufs qui, il faut le dire, excelle dans cet art, entouré d’une cour friande de compagnie notabilisée).

Mais au final, ce reste à ta place là, c’est celui qui est le plus grossier. Il reste facile à identifier pour peu qu’on observe attentivement les jeux d’acteur·ices. Il en existe de plus insidieux.

🔗Stratégies

Ainsi, on fait face à de nombreuses stratégies, plus ou moins conscientes, et qui ont pour effet d’éloigner, encore un peu, le public de la politique.

🔗La dépolitisation

Une stratégie très opérante est la dépolitisation. On sait, dans les milieux militant·es, que tout est politique (jusqu’à l’intime).

Pourtant, on aime, dans certaines circonstances faire mine que non. C’est ainsi que régulièrement, dans des réunions parfois organisées par la collectivité pour réfléchir sur des questions collectives, il se trouve toujours quelqu’un·e pour demander d’en faire fi.

Je me retrouve souvent dans l’obligation de rappeler que tout est politique et qu’exclure de facto la politique est un acte politique (de droite, le plus souvent, mais ce n’est pas un domaine réservé).

En raisonnant par l’absurde, on peut se demander qui décide de ce qui n’est pas politique. Définir cette limite imaginaire est en fait, déjà, un sujet politique.

🔗Le clientèlisme

Il consiste en la résolution du cas personnel de celle ou celui qui sort du rang pour mieux continuer de réduire au silence les cas identiques dans la majorité de la population qui appellent à une résolution politique, systémique.

Ce reste à ta place là s’opère dans l’ambiance feutrée des permanences des élu·es.

🔗La diversion

L’entre-soi politique foisonne de Garcimores en herbe. Ce qu’ils excellent à dissiper est notre quote part de temps, en concurrence avec bien d’autre activités, que nous sommes disposé·es à consacrer à la politique.

C’est ainsi que toute réunion commence par des énumérations protocolaires interminables (étalage de fonctions et de titres divers, voir points précédents), que le conseil municipal débute parfois par de longs préambules dépolitisés (rétrospectives et autres agendas au demeurant disponibles dans le Douai Notre Ville), que de longues vidéos « en live », de plusieurs heures parfois, sans aucun montage évidemment, sont prodiguées, brut de taille, comme si notre temps valait moins que celui qui leur permettrait de structurer leur pensée avant de l’étaler (un article comme celui-ci représente 5 heures de travail au total).

Le sommet du dévoiement de l’institution au profit de la diversion a, pour moi, été atteint, lorsqu’un maire du Douaisis s’est fendu d’un arrêté autorisant le Père Noël à survoler sa commune le soir du 24 décembre.

Mais la diversion s’exerce aussi sur le terrain idéologique, les slogans vendeurs mais frappés de pauvreté idéologiques sont légion. Bien-sûr, on peut tenter de réduire un programme politique à quelques formules en synthétisant son esprit global, mais une telle démarche, pour être honnête, doit s’accompagner de ponts permettant de reconstituer le cheminement qui amène à ces dernières.

Exemple, je fais souvent l’effort de synthétiser mes articles de blogs pour offrir un point d’accès à ces derniers, mais en prenant soin d’y faire référence (c’est ainsi que j’affirme que la gratuité des transports totale est éminemment sociale, qu’il faut 10 fois moins de voitures, trois fois moins lourdes mais électriques) et que la contagion RN peut être stoppée.

Cette pauvreté idéologique trouve son paroxysme dans les positions du Rassemblement National qui fait porter aux migrant·es tous les malheurs du monde sans jamais relier ces discours à une quelconque réalité (logique, puisqu’il n’y en a pas).

🔗La déception

Une autre stratégie, plus cynique, ou, peut-être, fortuite, est la déception chronique des citoyen·nes vis à vis des promesses politiques. Des promesses qui n’engagent que celleux qui y croient, mais surtout, désengagent celles et ceux qui n’y croient désormais plus.

Comme le disait récemment Marine Tondelier lors d’une interview, « quand les dégouté·es s’en vont, restent les dégoûtant·es ».

🔗La montre

Autre stratégie, le report. En reportant, sans arrêt, les échéances, on use, sans en avoir l’air, les motivations. Stratégie de la chaise vide, l’attente sempiternelle du « bon moment », tant de techniques qui font peser la charge mentale sur celles et ceux qui, pourtant, sont dans leur bon droit de souhaiter progresser, mais qui de surcroît, arriveront rincé·es à la réunion de lancement qu’on attendait plus.

La parade consistant alors à demander pardon plutôt que la permission comme le disait Grace Hopper.

🔗La brutalisation

Autre phénomène, employé largement par les hordes de harceleurs d’extrême droite : la brutalité. Harcèlement, intimidation, menaces… on ne compte malheureusement plus les faits.

Cette violence tantôt brute, tantôt institutionnalisée sous des couverts culturels, a forgé l’idée qu’il faut être « fort·e » pour faire de la politique.

Elle se décline également dans la brutalité policière lors de la répression de manifestations. On a toutes et tous encore en tête ces vidéo de jeunes mis à genoux par les CRS à Mantes-la-Jolie. On croit deviner le message prodigué à coup de matraque : ces dernier·es auraient dû rester chez elleux.

🔗L’incapacité

Le fameux « il n’y a pas d’alternative » employé jusqu’à ébriété sans toutefois fournir d’étaiement à l’affirmation.

L’habitus devient fatalité et le probable devient inexorable à force de sophismes savamment distillés. Exemple : on ne peut pas se passer de la pub.

L’alternative devient alors hors de portée par décret.

🔗La submersion

Si après toutes ces raisons de rester à la niche, votre motivation reste intacte, alors, reste la submersion. Le principe est simple : réclamer, en faisant le moins d’effort possible, la réalisation de préalables, le respect de procédures, de protocoles, demandant des efforts immenses.

Le fameux concept du « torrent de merde » déversé par des interactions offrant peu, voire aucune, valeur ajoutée mais ayant pour but de neutraliser toute efficacité dans l’action ou l’argumentation.

🔗Des remèdes ?

Il existe des techniques telles que la transparence, le respect des temps de parole et de la parité, la recherche de diversité, la production de documents faciles à lire et à comprendre (FALC), la pédagogie etc… des techniques que nous mettons en œuvre de façon plus ou moins efficiente chez les Écologistes.

Mais bien qu’il soit souhaitable que toutes ces raisons de rester à sa place disparaissent, paradoxalement, les discours trop insistants sur ce que devrait être la politique peuvent être une autre forme d’injonction à ne pas entrer dans le jeu : il suffirait alors d’attendre que la politique devienne une place saine, un territoire d’émancipation.

La réalité est qu’il faut passer le pas maintenant, car, si vous ne vous occupez pas de politique, c’est la politique qui s’occupera de vous.

La politique est bel et bien un panier de crabes, mais c’est une prophétie auto-réalisatrice. Il faut donc refuser d’être assigné au silence, il faut s’indigner, oser.

L’entre soi, le paternalisme, le mépris de classe, la réduction au rôle de faire valoir (parfois par des personnes qui n’ont même pas les marques élémentaires de distinction qui consistent à s’essuyer les pieds avant d’entrer, à dire bonjour quand on reconnaît une personne ou à rendre la place plus propre derriere soi) ne doivent pas vous entraver.

Ils ne le doivent pas car il sont fait pour ça, il vous commandent d’obéir, car ils savent que votre vraie place est celle qui vous permet d’influer sur votre avenir, vos conditions de vie, mais qu’elle est incompatible avec leur plan de carrière.

🔗Et les idées ?

Pour conclure, le reste à sa place, plus qu’une forme de dissuasion à l’engagement est aussi une diversion idéologique, pour couper court à tout débat d’idée en passant de polémique en polémique sans jamais s’attacher au fond (les médias y tiennent d’ailleurs une large place).

Le rôle du camp progressiste peut se résumer à la formule choisie lors du processus de refondation d’Europe Écologie - Les Verts (EÉLV) en Les Écologistes : « venez comme vous êtes ».

Il est d’ailleurs amusant de constater que cette même volonté d’ouverture a été raillée au sein même des écologistes car c’est également le slogan de Mc Donald dont José Bové démontait, autrefois, les restaurants, oubliant l’antérioté du « Come as you are » de Nirvana.

Ne pas investir les termes qui auraient été souillés par le mercantilisme ne serait alors qu’une autre façon de rester à sa place ?


🔗Post-scriptum

Ce billet servira certainement d’index pour me permettre de décoder ces stratégies et sera donc amené à être amendé. Si vous pensez que j’ai omis certains aspects, je suis preneur de vos suggestions.

Publié le dimanche 5 janvier 2025 à 19:00:00.