Défendue lors du conseil communautaire de Douaisis Agglo par Stéphanie Stiernon, élue EÉLV de la ville de Douai, la gratuité des transport en commun, jugée compliquée par l’éxécutif en place a fini par être instaurée à l’occasion de la campagne des départementales 2021.
Malgré un certain soupçon de tentative d’influencer le résultat du vote (qui s’est finalement joué à quelques centaines de voix, cette proposition a bien entendu été votée par nos élu·es qui portent la gratuité d’autant plus qu’une motion régionale de EÉLV Nord Pas-de-Calais s’était déjà prononcée pour cette gratuité.
Nous le savons, la voiture individuelle est vouée à disparaître tant son impact écologique est néfaste pour notre environnement (j’ai pu développer ma vision complète sur ce thème).
Il est donc crucial de trouver la bonne formule pour que la mobilité de nos concitoyen·nes soit préservée tout en augmentant la part des transports en commun ou des modes actifs (marche, vélo…).
La gratuité totale des transports en commun sert cet objectif de plusieurs manières.
En supprimant la barrière tarifaire : Cela est évident, mais c’est l’effet majeur de la gratuité, permettre à tous les budgets de se déplacer. En ce sens c’est une mesure sociale qui abolit la politique de guichet pour les budgets serrés et supprime le non-recours aux aides si fréquent. Cette barrière est aussi supprimée de façon temporelle. En fin de mois, un·e usagèr·e potentiel·le peut prendre sa voiture car il reste de l’essence dans le réservoir, mais ne pas prendre le bus car sans liquidité disponible à cet instant. Même si cela lui coûte plus cher à terme, même si l’intention de départ était de prendre le bus.
En fluidifiant l’accès : la gratuité des transports évite toute démarche administrative préalable à l’acte de prendre le bus, permettant aux personnes hésitantes de tester simplement l’offre de transports. Avec la gratuité des transports, les radin·es deviennent écolos 😉.
En faisant de l’écologie positive : pour une fois, les personnes qui ont un comportement vertueux sont récompensées. En ces temps d’augmentation du coût de l’énergie et de pénurie de carburant, c’est un avantage non négligeable, à rebours de la prime au carburant du gouvernement Macron.
Dans le Douaisis, on a pu constater, selon Claude Hégo, président du SMTD et maire de Cuincy, une augmentation de 30%, en moyenne (Mag Douaisis Agglo numéro 72). À Dunkerque, pionnière en la matière, ce serait même 85% d’augmentation.
La gratuité des transports en commun c’est aussi de nombreux effets bénéfiques indirects.
Tout d’abord, des économies de gestion, de ressources et matières premières (agences, bornes, traitement administratif, contrôle…). Plus besoin d’installer, entretenir et alimenter des bornes d’achat de billets. Les agences ne sont plus nécessaires et les arrêts sont plus courts.
Mais même en dehors du Syndicat Mixte des Transports du Douaisis, ce sont surprenamment les entreprises qui font l’économie de coûts de gestion. En effet, les allers-retours avec la comptabilité et prises en compte du remboursement des transports en commun sont de facto supprimés pour les salariés habitant et travaillant dans le Douaisis.
Autre effet, décrit dans le reportage ci-dessus, l’apaisement. Un effet néfaste sous-estimé de l’automobile est le faible contrôle social exercé dans les transports en commun. En effet, les travailleurs dans la force de l’âge se trouvent dans leur voiture quand les populations les plus fragilisées se retrouvent dans les transports en commun.
La gratuité permet le retour de la mixité sociale et de ses bénéfices. Nos adolescent·es sont ainsi accompagné·es dans leurs déplacements et les mécanismes de civisme élémentaire sont plus souvent respectés.
Un grief souvent porté à la gratuité est que rien n’est gratuit, il y a toujours quelqu’un qui paie au final. C’est vrai, mais c’est déjà largement le cas : réductions en fonction des revenus, part de l’employeur…
En fait, la gratuité par ses économies de gestion rend simplement la fiscalité plus efficace. Les communautés de commune sont en fait déjà financées pour moitié par les entreprises. Que cette fiscalité remplace le remboursement de la part employeur me semble plus efficient. Cette part est en revanche perdue concernant les entreprises hors agglomération. Pour une ville comme Douai, ceci peut représenter un certains budget mais les transports hors agglomération ne sont pas gratuits à ce jour, c’est donc plutôt anecdotique.
En réalité, l’effort fiscal est minime. Reste qu’il est possible d’aller chercher une niche : la taxe de séjour. En effet, les touristes bénéficient de la gratuité des transports sans toutefois participer à leur financement. La taxe de séjour pourrait s’élever à un ticket de bus par nuitée que cela resterai quasiment indolore. Ce serait également une incitation forte à prendre les transports en commun que de devoir y contribuer lors d’un séjour temporaire.
Enfin, il reste probablement une part minime supportée par le contribuable, mais c’est très faible en comparaison des bénéfices offerts à la population. On a vu de l’argent public bien plus mal dépensé (récemment encore avec l’affaire McKinsey).
Bref, je suis fort attaché à cette gratuité qui a beaucoup de sens. Je déplore que certaines personnes opposent gratuité sociale et totale. Il nous faut la gratuité totale car elle est éminemment sociale.
C’est la raison pour laquelle je la défend dans le Douaisis, mais partout ailleurs. Il faut passer à l’échelon supérieur avec le train, cette gratuité devrait être étudiée. Elle est actuellement en test dans certaines régions du monde, notamment en Espagne.
Des forfaits à 9€ ont été testés en Allemagne, une sorte de licence globale appliquée au train.
Si l’on souhaite respecter les accords de Paris, il faudra des mesures volontaristes, appuyer sur l’accélérateur des transports en commun me semble être un levier simple et socialement équitable pour aller dans cette direction.
Suite à des discussions diverses, voici quelques réponses à des arguments souvent opposés à la gratuité totale des transports en commun.
Si les transports publics doivent bénéficier de la gratuité, au titre des biens de première nécessité, pourquoi pas d’abord les premiers m3 d’eau potable, les premiers KWh d’électricité, voire le logement ou certains produits alimentaires ?
Bien que je sois favorable également à la gratuité des premiers m3 et kWH pour récompenser les plus sobres d’entre nous (qui s’avèrent souvent être les plus défavorisé·es) ou à la sécurité sociale alimentaire, la réponse est que l’eau, l’électricité et la nourriture n’ont pas d’alternative’.
Ce n’est pas le cas des transports en commun, d’autant plus que cette concurrence est déloyale : les automobiles bénéficient de la gratuité des routes, d’une perception du coût d’usage moins forte car indirecte (assurance mensualisée, coût de l’acquisition masqué… et même pour le carburant, quand on a fait le plein, on ne pense plus tant à ce qu’il nous a coûté en utilisant son automobile). De plus, les externalités négatives nombreuses de l’automobile sont supportées par toute la population, ce ne sont pas seulement les automobilistes qui en paient le coût.
La gratuité totale met tout le monde au même tarif : est-ce bien équitable ?
Oui, c’est équitable car cela ne change pas fondamentalement la situation.
Comme le vocifèrent les partisan·es du moindre impôt : “si c’est gratuit, c’est le contribuable qui paie”. Or l’impôt est progressif (les plus démuni·es en paient peu, sauf TVA…) ce qui équivaut à un tarif progressif (mais sans les coûts de billetterie / contrôle).
Dans les grandes agglomérations, les recettes des billets sont de l’ordre de 100M€ mais le coût de la billetterie représente 10 à 15% de ces recettes. Passer par l’impôt plutôt qu’une tarification progressive ne change quasiment rien, sauf que l’argent est dépensé uniquement pour le transport effectif et non des coûts de gestion.
La seule inéquité réelle est plutôt entre celleux qui utilisent les transports en commun et celleux qui ne le font pas. Mais cela s’assume dans le cadre d’une politique d’incitation et surtout, de couverture du territoire pour réduire cette inéquité quand elle est structurelle et non liée aux comportements individuels.
Mais même dans le cas d’un village qui ne serait pas aussi bien desservi que la ville, la réalité de l’impôt local est qu’il est plus fort dans les centres urbains que dans les communes rurales (notamment, justement, à cause de l’attractivité des premières qui bénéficient de plus de services). Il y a donc finalement, une forme d’ajustement fortuit entre le taux de prélèvement et les bénéfices réels pour la population de la gratuité des transports sur le plan territorial.
La gratuité des transports est une mesure irréversible
Difficile de l’affirmer catégoriquement aujourd’hui étant donné que peu de collectivités l’ont mise en place et qu’aucune, à ce jour, n’a tenté de la défaire.
Ceci dit, si elle l’est c’est que le service rendu est attendu et bénéfique. Aussi, comment ne pas se réjouir qu’une telle mesure, quand on a perçu tous ses avantages listés précédemment, soit difficile à défaire ? Si c’est une bonne mesure, alors, c’est une bonne nouvelle !
Publié le vendredi 14 octobre 2022 à 12:00:00.