Avec une société qui se sensibilise à la cause animale et un réchauffement climatique de plus en plus perceptible, la question animale devient un sujet politique et il me semble important de vous livrer ma position sur le sujet. Il mérite qu’on s’y attarde de façon un peu plus complète que l’item de la FAQ correspondant.
Il mérite également que l’on évite les approches binaires, comme toujours en politique, il s’agit surtout de trouver le bon curseur entre bien être animal et activités humaines.
Le spécisme est l’idée qu’il existe une hiérarchie entre les espèces (et surtout en ce qui nous concerne entre l’espèce humaine et le reste de la faune terrestre).
Le terme est, en fait, issu du militantisme anti-spéciste. Du fait que je mange de la viande, selon cette doctrine, je suis spéciste.
En effet, en tant qu’humaniste, je suis forcément empreint d’anthropocentrisme et ceci a des effets directs sur ma relation au vivant.
Je considère qu’un être humain peut, s’il le veut, employer les animaux pour atteindre ses objectifs : alimentation, transport, travail, spectacle… En fait, je pense même qu’à défaut de leur prêter une utilité, nous devons alors juste laisser les animaux tranquilles, dans la nature.
J’assume bien-sûr cette position car mettre toute la faune (humanité comprise) sur le même niveau peut avoir des implications loufoques. Je défends la vie humaine en priorité. C’est un fait.
Ceci dit, bien que je ne mette pas les animaux et l’humain sur le même plan, il me semble évident pour la plupart des animaux que ce sont des êtres dotés de sentience.
À ce titre, ils ont le droit à des égards et ne peuvent être considérés comme des objets, mais au contraire, comme des partenaires, faisant partie intégrante de la société.
La relation que notre société entretien avec les animaux aujourd’hui ne me satisfait pas, elle est pleine de duplicité : quand les animaux de compagnie sont devenus rois mais que, dans le même temps, les animaux d’élevage sont esclaves et la faune sauvage détruite, il y a lieu de se poser des questions.
Notre rapport aux animaux est avant tout sociétal. Ma position est d’ailleurs le fruit de ma propre expérience et du bain culturel dans lequel j’ai grandi.
De ce point de vue, c’est très intéressant d’analyser la gastronomie française et ses liens avec l’élevage.
J’ai pour habitude de prendre l’exemple concret des gallinacées pour illustrer l’utilitarisme spéciste plus communément appelé "bon sens paysan".
En effet, celle-ci illustre à merveille ce qu’il se passe dans une ferme traditionnelle, et comment, à force de créativité culinaire, nos ancêtres ont trouvé le moyen de valoriser la production de nourriture d’origine animale tout en délectant les fins gourmets.
C’est ainsi que, la poule, pondant des œufs, dans une ferme classique, jouit d’une vie plus longue que les mâles qui sont élevés jusqu’à être suffisamment gros pour être rôtis.
Mais comme rien ne se perdait, on mangeait tout de même la poule et le coq (chargé de la reproduction), mais bouillis dans les bien connues recettes de la poule au pot ou du coq au vin. C’étaient les circonstances qui déterminaient la recette, pas les envies du moment.
C’était également le cas, dans mon poulailler, quand je vivais à la campagne, comme ça l’est dans la majorité de ceux des français·es.
La poule est aussi une excellente dévoreuse de déchets végétaux et animaux. Elle valorise ces derniers en nous fournissant des œufs (quasiment un par poule par jour !).
Elle est aussi un régal pour les yeux, j’adorais travailler avec un œil sur le poulailler.
Bref, on le voit, la gastronomie est un livre ouvert sur la condition paysanne, mais surtout, sa capacité à ne rien gâcher, à faire preuve de créativité pour maximiser le fruit de l’effort fourni.
On pourrait parler du fromage (moyen de conservation du lait), du génie mis en œuvre pour la préparation des abats…
D’une certaine manière, on peut dire que le geste de tuer un animal pour le manger était suivi d’une forme de respect pour que ce geste ne soit pas inconséquent. D’où le fameux adage "tout est bon dans le cochon", mais on pourrait en dire autant de la poule, du mouton, du bœuf…
La condition animale n’était alors pas tellement un sujet puisqu’on vivait parmi les animaux qu’on élevait et l’être humain, que je pense par nature bon, n’infligeait pas de souffrances outrancièrement inutiles aux animaux.
Il existe cependant quelques contre exemple, comme le gavage, mais la règle était plutôt la bienveillance malgré une dose de réalisme quand à la destination des animaux d’élevage qui finissaient tôt ou tard dans l’assiette.
Alors, qu’est-ce qui cloche aujourd’hui ? On est bien loin de ce modèle.
Les trésors d’inventivité humaine sont maintenant au service du profit, et le résultat est tristement cruel.
On produit des espèces pour les œufs et on broie les poussins mâles. On récupère les escalopes, on jette le reste dans des méthaniseurs.
On mange des steaks, mais pas d’abats (ou alors dans des "saucisses" uniformes ou au travers de la gamelle de nos animaux de compagnie devenus inutiles mais indispensables).
Et si tout cela se termine par des milliers de barquettes plastiques encore pleines de viande dans une poubelle de supermarché, peu importe, tant que les linéaires étaient bien pleins pour la saison des barbecues…
Cette dérive s’est, parallèlement, accompagnée d’une déculturation progressive : un·e consommateur·ice ne doit pas faire le lien entre le mouton et la côtelette.
De moins en moins de personnes savent quoi faire d’une langue de bœuf (j’ai encore en mémoire des convives médusés à la vue de la langue sortant du couet 😅).
La/le français·e moyen·ne, ironiquement, ignore ce qu’est le sot-l’y-laisse, en ce moment même, nos poubelles en regorgent certainement.
En coupant le lien entre les personnes et les animaux qu’elles mangent, en plus d’un gâchis inédit, s’est ouverte la voie vers la maltraitance animale.
En effet, le bon sens paysan a fait place à la chosification des animaux. On est bien loin de la ferme traditionnelle où les animaux étaient généralement traités avec respect comme des membres de la famille.
Désormais, les animaux sont élevés dans des cages, et croyez-moi, ces poulaillers là, vous n’avez pas envie de travailler en les regardant.
Cette maltraitance, qui n’est généralement justifiée que par le profit doit cesser.
On peut valider une certaine hiérarchie entre les espèces, sans pour autant positionner le curseur jusqu’à faire des animaux de simples rouages comme s’ils étaient insensibles.
Autant, je récuse l’anthropomorphisme, qui d’une certaine manière, découle de la déculturation paysanne créée par la société de consommation, autant, je ne peux accepter le sort qu’on réserve aujourd’hui dans les fermes-usines aux animaux.
L’élevage industriel doit cesser ! Avec lui, le grand gâchis alimentaire doit finir. Car les aberrations de ce système ne se limitent pas à la souffrance animale, mais également au détournement de notre agriculture vers des cultures gourmandes en eau destinées à l’alimentation de ces animaux privées de prairie.
D’ailleurs, il y a une forme de noblesse dans le fait de ne pas vouloir manger des animaux à partir du moment où cette volonté découle d’une forme de sensibilité à l’égard de l’acte de tuer un animal pour s’alimenter.
Je ne partage pas cette sensibilité, mais je peux la comprendre : j’ai fait l’expérience de tuer un animal pour le manger. Ce n’est jamais de gaieté de cœur qu’on le fait.
D’une certaine manière, c’est en cohérence avec le fait de manger de la viande, savoir ce que cela signifie exactement, c’est une sorte de chemin initiatique vers le respect du produit fini et l’exécration du gâchis.
Finalement, si chacun·e s’occupait de ses poules, il n’y aurait plus ce métier qu’une connaissance, autrefois employée de l’usine Doux de Graincourt-lez-Havrincourt exerçait : tuer des milliers d’oiseaux par jour. Ce n’est pas une partie de plaisir, d’autant qu’ensuite, elle fût passablement jetée dehors sans autre forme de procès pour fermer définitivement une "unité de production" plus assez rentable…
On est loin du sketch de Dany Boon. On en parle le regard noir et le ton grave. À vrai dire, si même quand on tue des milliers de poulets chaque jour, on reste sensible, je pense qu’il est raisonnable de dire que personne ne peut être insensible à la condition animale.
En tant que rural, j’ai toujours envisagé les animaux comme devant remplir une fonction précise. Les animaux de compagnie n’échappent pas à la règle. Un chien monte la garde, un chat chasse les rongeurs.
Par exemple, vers 11 ans, j’avais dressé ma chienne à déloger la petite poule anglaise fugueuse afin que je puisse la remettre dans le poulailler.
Ma chienne c’était aussi un peu l’avertisseur qui signalait l’arrivée de quelqu’un à la maison.
Aujourd’hui, la fonction des animaux de compagnie, c’est d’apporter un lien affectif à la personne qui a choisi de l’acquérir. D’ailleurs on me faisait remarquer récemment qu’on parlait plutôt autrefois d’animaux domestiques.
Il y a d’ailleurs une sorte de duplicité dans le fait d’être anti-spéciste et d’avoir des animaux de compagnie qui à leur tour mangent de la viande rarement produite dans des conditions d’élevage idéales.
Mais je ne jette pas la pierre, si j’écoutais mon cœur, j’aurais déjà un chien. Simplement, en ville, ce serait compliqué et pas question de le laisser seul toute la journée pendant que je suis au travail.
Je vais sûrement surprendre, mais j’ai grandi entouré de chasseurs de gibier d’eau et de plaine (en vallée de la Sensée). Je connais très bien ce milieu.
Pas de chasseur dans ma famille, mais on a souvent récupéré, plumé et mangé des canards colverts, lapins de garenne et/ou lièvres donnés par des amis chasseurs (qui ne les mangeaient pas…). J’ai même emmené mon chien à la chasse une fois à la demande d’un ami. Je sais que, pour une partie d’entre eux, il y a un véritable respect de la nature. Cependant, souvent, l’effet de groupe, le culte de la performance amène à des pratiques inconséquentes qui sont à reconsidérer.
C’est pourquoi, je suis favorable à un contrôle bien plus strict des espèces chassées et à l’interdiction de la chasse le week-end entier dans les lieux fréquentés par d’autres personnes et le dimanche dans les lieux sans passage car la nature aussi a droit au répit.
Certaines chasses comme la chasse à courre, chasse à glu et autre déterrage d’espèces prétendument nuisibles doivent être interdites.
Cependant sur l’idée même de chasser, comme nos ancêtres le faisaient, sans mettre en danger les réservoirs d’espèces, sans cruauté inutile, dans des conditions optimales de sécurité et dans le respect des équilibres naturels, je ne suis pas fermé.
D’une certaine façon, si l’on parvenait à cadrer la chasse et former un équilibre de façon à obtenir une source de protéine animale sans mettre en danger les écosystèmes (un peu ce que l’on vise avec la pêche) cela pourrait même être plus écologique que de manger de la viande issue de l’élevage intensif.
Bref, sur ce sujet encore, l’on gagne à ne pas entrer dans un mode de pensée binaire, mais en gardant toutefois à l’esprit qu’il y a beaucoup de chemin à parcourir car les pratiques actuelles restent, pour une bonne partie, destructrices de la biodiversité.
La complaisance actuelle du gouvernement d’Emmanuel Macron pour des raisons électorales et le discours de son représentant Willy Schraen ne grandit pas la pratique de la chasse. Bien au contraire.
Les cirques sans animaux sont tout aussi sympas que les autres, la souffrance animale en moins. Il est donc urgent de cesser cette exploitation inutile.
En ce qui concerne les zoos, je suis partagé, malheureusement, pour certaines espèces, c’est un moyen de conservation en attendant, peut-être, la fin de la folie extractiviste et l’exploitation systémique de la nature et une éventuelle réintroduction.
Alors, vous le voyez, j’ai vraiment traité le sujet sur de nombreux aspects, en terme de politique générale. Je pense que lorsqu’il s’agit de vies, d’êtres sensibles, on se doit d’être exhaustif.
Je vais terminer avec quelques propositions à appliquer à titre individuel si vous vous retrouvez dans ma manière de penser, mais que pour autant, vous souhaitez continuer à manger de la viande :
avoir ses poules : si vous vivez à la campagne ou si vous avez du terrain, vous devez avoir des poules ! J’espère avoir réussi avec ce long texte à vous en donner l’envie. Vous serez alors responsable du bien-être de ces petites bêtes qui vous le rendront bien. Vous déciderez alors en âme et conscience de leur devenir, attention toutefois, il y a un nombre de coq par poule maximum à respecter. Si vous avez trop de mâles, l’inaction ne sera pas bonne conseillère,
voir les animaux que l’on mange : c’est ce que je tente de faire en me fournissant localement au maximum, mais des initiatives telles qu’à Cambridge où des bœufs d’élevage paissent dans les parcs me semble intéressantes,
manger des abats, du pâté : les amateurs de viande rouge boudent les autres morceaux, une façon intelligente de se faire plaisir tout en limitant les dégâts est de consommer les abats : langue, cœur, cervelle… contrairement aux idées reçues, c’est souvent excellent quand c’est bien cuisiné,
mangez moins de viande : je suis un grand amateur de charcuterie et de viande rouge. Du coup, je mange de la viande rouge quasi uniquement quand je vais au restaurant ou aux repas de fêtes, c’est un peu mon moment plaisir. Mais en manger tous les jours, cela n’a pas de sens. Enfin, comme j’aime le rappeler, c’est la dose qui fait le poison. Manger de la viande en quantité excessive est de plus très mauvais pour la santé,
donner ses restes à son chien : les vendeurs de croquettes vous diront le contraire, j’ai toujours fait comme ça, si c’est bon pour moi, c’est bon pour mon chien (c’est comme ça depuis des millénaires),
adopter, ou mieux, garder : si vous envisagez d’avoir un animal de compagnie, pensez à l’adoption, bien-sûr, stérilisez-le. Encore mieux, gardez gratuitement ceux de vos ami·es. En effet, généralement, c’est difficile de trouver quelqu’un pour garder ses animaux, cela peut vous permettre de tester voire, de bénéficier de la présence d’animaux quand vous êtes effectivement chez vous, pendant les congés, par exemple.
Ces "petits gestes" personnels démontrent malgré tout les limites de la démarche individuelle, à mon sens, c’est au niveau législatif qu’il faut traiter le problème et abolir purement et simplement l’élevage industriel.
Ceci aura nécessairement un effet sur les prix de la viande et, c’est bien ce qu’il faudra pour limiter les appétits de celles et ceux qui refuseront coûte que coûte de renoncer à leur beefsteak quotidien et qui doivent être remis en minorité comme les propriétaires de yachts et autres jets…
Je n’ai absolument pas parlé des effets néfastes de l’élevage industriel sur l’environnement puisqu’il s’agissait surtout ici de condition animale, mais il y a une corrélation directe entre moins de souffrance animale et moins de réchauffement climatique. Pensez-y !
Je vous laisse avec Boris Vian et son fameux titre "Les Joyeux Bouchers". Une fois encore, ce dernier était en avance sur son temps.
Publié le vendredi 9 décembre 2022 à 09:00:00.