Extrême droite à Lécluse

Quand une petite commune rurale du Douaisis telle que Lécluse reçoit le Rassemblement National (ex-Front National) et rencontre une certaine audience, on peut se demander pourquoi. En effet, cette petite commune bien agréable est probablement l’antithèse du monde terrifiant qu’essaie de nous dépeindre le Rassemblement National.

La réponse est sûrement à chercher dans le récit médiatique dominant, la validation opérée par les partis traditionnels de droite (le fameux éclatement du barrage Républicain), le mutisme de certain·es élu·es et aussi l’opportunisme d’autres. Décryptage…

Le meeting de Jordan Bardella 🔗

L’actualité du Douaisis a été marqué la semaine dernière par la venue de Jordan Bardella, candidat aux européennes pour le Rassemblement National, le 6 avril, dans la salle de sport de la commune.

Les léclusien·nes ont, d’un coup, vu débarquer un flux de personnes venues recevoir les discours xénophobes de ce dernier. Parmi celles-cis des personnes curieuses, des convaincu·es, mais aussi des néonazis (dont un certain nombre arborant des symboles faisant référence aux croisades ou ces deux jeunes le crâne rasé vêtus de blouson noirs de marque "Lonsdale", appréciée des jeunesses identitaires…).

Un patron de bar raciste a également assisté à ce meeting (un certain Aurélien Verhassel), qui déclarait, tranquillement, que pour rentrer dans son bar il fallait "être de race blanche".

Là où les autres ne vont pas ? 🔗

Le message de l’extrême droite est simple : nous allons là où les autres ne vont pas. Une affirmation complètement fallacieuse. Je n’ai pas besoin d’aller chercher bien loin pour contredire cette affirmation. Je suis moi-même allé à Lécluse plus d’une fois, que ce soit lors de mon Tour du Douaisis ou encore pour les départementales en 2021 (le jour où j’ai pris la photo du camion du département du Nord qui était là aussi ce jour là) sans compter que, forcément, ayant des ancrages dans le sud du Douaisis, je n’y vais pas que pour faire de la politique, contrairement au RN.

Mais du coup, comme les écologistes aiment les défis, nous y sommes retourné·es hier dans le cadre des Élections Européennes afin d’y porter un autre discours. Au delà du tractage, nous avons pu discuter avec quelques personnes sur place.

Notamment avec un ancien du village, bien content de nous voir mener ce combat contre l’extrême droite.

Entretien épistémique 🔗

Mais aussi, un électeur du RN, décomplexé, avec lequel nous avons engagé une discussion aussi enrichissante que désarçonnante.

En effet, en réponse à nos questions, ce dernier nous avait affirmé qu’il votait pour le Rassemblement National à cause de l’insécurité, des personnes magrébines trop nombreuses et du prosélytisme islamique.

Pourtant, en le questionnant, il nous répondît que, lui-même, ne se sentait pas en insécurité, ici à Lécluse. Que d’ailleurs, son voisin était magrébin et musulman et qu’il ne lui posait pas de problème.

Lorsque je lui ai demandé s’il était contre la religion, il assurât que non, mais que ce n’était pas normal, les prières de rues. Je lui ai assuré que la seule prière de rue dont j’ai entendu parler dans le Douaisis était la fête des rameaux et que la seule que j’ai vue de mes yeux avait eu lieu face à la statue de la vierge plantée devant l’église Notre Dame.

Nous n’avons pas pu obtenir de réponse claire sur l’écart entre sa perception réelle dans la vie de tous les jours et sa perception du monde. Sont-ce les médias, le bourrage de crâne du RN ou encore les réseaux sociaux qui l’amènent à penser que son quotidien est bien différent de celui de ses concitoyen·nes et qu’il est d’une certaine manière préservé ?

J’avais déjà fait ce constat du décalage entre perception concrète et fantasmée à Brunémont dont le cadre de vie en ferait languir plus d’un·e, dans mon article consacré à la montée du RN dans le Douaisis et aux moyens d’y mettre fin.

A postériori, je regrette de ne pas lui avoir demandé pourquoi, selon lui, les gens qui vivent en ville, là où il y a le plus de mixité, votent le moins pour le RN.

Nous avons tout de même obtenu de lui la promesse de lire notre tract attentivement. Ce dernier explique pourquoi le Rassemblement National vote, au Parlement Européen et à l’Assemblée Nationale, en réalité, contre la population qu’elle prétend défendre.

Le mutisme, principal levier du RN 🔗

« Pour que le mal triomphe seule suffit l’inaction des hommes de bien » Edmund Burke.

Ce qui m’a frappé c’est qu’au final, en étant intransigeant sur les valeurs humanistes et en posant les bonnes questions, on peut clairement amener une autre réflexion. J’ai la conviction que dans une société profondément inégalitaire et tournée vers le matérialisme individualiste, l’inertie idéologique est naturellement à droite. La raison à cela est simple, la réflexion est peu profonde, elle se base sur une logique implacable mais dont les prémisses sont totalement fausses.

Pour lutter contre l’extrême droite, il faut amener les gens à réfléchir (voir à ce propos cet autre entretien épistémique avec un militant du RN selon lequel pour être un « vrai français », il faut être issu d’une famille vivant en France depuis le 15ème siècle avec un « arbre généalogique certifié »…).

Malheureusement, tout le monde n’a pas l’opportunité, ni le loisirs de s’informer. Ce Léclusien en particulier m’a intéressé à plusieurs titres car il est également l’exemple typique que je mets souvent en avant pour expliquer que les métiers difficiles et les conditions de vie précaires ne laissent pas beaucoup de temps pour s’informer de façon efficace, pour prendre de la hauteur.

Difficile de débattre des orientations politiques de son pays quand on rentre d’une longue journée de travail harassant avec des trajets souvent conséquents quand on habite dans une commune rurale.

Dans un monde écologiste et humaniste, on travaille moins souvent et moins longtemps car les richesses sont plus partagées et les ressources préservées, l’inutile, évité. Pouvoir prendre un congés citoyen pour se forger une opinion politique serait une façon de répondre à cette problématique.

Mais en attendant, nous avons besoin de prescripteur·rices localement. Malheureusement, iels sont aux abonné·es absent·es, du moins dans leur parole publique :

• aucune mention de ce meeting qui a fait le tour des rédactions nationales et de ses conséquences sur l’image de la commune sur la page Facebook de Lécluse Alternative (portée par Rudy Dillies, principal opposant à la maire de Lécluse, Nicole Descamps-Vottier),

• les membres du MENID (Mouvement des Élus Non-Inscrits du Douaisis), dont la maire de Lécluse disait faire parti lors du Conseil Municipal du mercredi 19 février 2016, n’ont pas pris la parole pour dénoncer cette venue ni pour désavouer la maire voire l’exclure du groupe.

Qu’est-ce qui explique ce mutisme ? Le clientélisme. Face à une population qui se radicalise dans les discours xénophobes, c’est au mieux l’omerta. Prendre le risque de se mettre à dos la population peut coûter un mandat. Il y a là un renoncement à porter son idéologie, ses principes, comme une forme d’aveu qu’ils ne seraient finalement pas porteurs (ce qui est bien loin de la réalité de terrain avec un minimum de force de persuasion). La population peut alors y voir une forme de validation tacite : soutenir des idées racistes, c’est ok pour les figures locales…

L’opportunisme pour tremplin 🔗

Cette dynamique récente qui semble emporter le RN aiguise les appétits d’individualités peu regardantes.

La présence de Malika Sorel sur la liste de Jordan Bardella est une parfaite illustration de cet opportunisme qui pourrait gonfler les rangs du RN. En effet, selon une révélation du Canard Enchaîné, elle aurait bombardé Emmanuel Macron de SMS pour obtenir un poste de sa part. C’est finalement auprès de Bardella qu’elle aura trouvé la place convoitée.

À ce jour, le local avait plutôt bien résisté en dehors de quelques points noirs comme Hénin-Beaumont avec une histoire particulière de corruption qui n’a pas aidé. Ce barrage tiendra-t-il longtemps ? Espérons-le !

Finalement, si à Lécluse, on flirte avec les tendances, on peut espérer que Nicole Descamps-Vottier ne passera pas le stade l’encartement RN (à supposer que l’information soit publique si c’est le cas). En attendant, François Thibaut nouveau député RN de la circonscription semble invité à tous les évènements… Affaire à suivre.

En conclusion, je vous invite à regarder l’entretien de Blast avec Vincent Edin sur ce sujet.

Publié le jeudi 18 avril 2024 à 11:00:00.