Donner à des plateformes telles que Facebook, Twitter et autres réseaux issus ou rachetés par des GAFAMs, l’adjectif "social" est probablement l’une des plus grandes impostures du monde du numérique.
L’objectif de ces derniers est de maximiser le temps d’utilisation de leur service afin de générer des revenus publicitaires. Ce ne sont donc pas des réseaux sociaux, mais plutôt, des complexes de contrôle comportemental des utilisateurices.
Pour ce faire, tous les moyens sont bons. Ce sont généralement des biais cognitifs ou des aspirations humaines légitimes qui sont utilisés comme impulsion pour provoquer des réflexes de consultation des réseaux sociaux.
Ces réseaux sont sociaux au sens où ils utilisent notre besoin d’interactions pour s’immiscer entre elles et dévier notre trajectoire de son objectif premier.
Pour étayer cette affirmation, petit tour d’horizon des principaux réseaux sociaux et de leur fonctionnement.
Commençons par Facebook, le principal réseau social à ce jour, et les différentes stratégies déployées pour maximiser votre usage et leur connaissance de vos moindres faits et gestes.
Les stratégies pour obtenir un maximum d’information à votre sujet sont principalement de vous faire installer l’application mobile Facebook. En effet, alors qu’il était autrefois possible de faire de nombreuses actions via le site Internet avec votre mobile (utiliser la messagerie instantanée, gérer vos pages…) aujourd’hui ces fonctionnalités sont bloquées sans qu’aucune justification technique ne puisse être invoquée.
Je refuse d’installer cette application, évidemment, et j’ai donc pu voir le glissement opérer lentement mais sûrement pour modifier nos usages :
blocage de "Messenger" sur l’application web mobile : on était redirigé vers le "store" pour télécharger l’application. La messagerie est restée fonctionnelle en utilisant la fonction du navigateur mobile "voir le site pour ordinateur de bureau", mais visiblement, cette possibilité gênait encore et le bouton a carrément été retiré,
arrivée de "Facebook Lite" : ayant repéré le refus de télécharger cette application, l’astuce a consisté à proposer une application légère… du point de vue technique peut-être, mais du point de vue de la vie privée ce sont pas moins de 44 autorisations qui sont demandées par celle-ci : de lire vos contacts/SMS/appels à voir votre position GPS…
scripts de partage sur les sites Internet : sous couvert d’afficher un bouton dans un site Web, c’est littéralement un logiciel espion que de très nombreux sites Internet installent sur les sites que vous consultez (les sites institutionnels ne sont d’ailleurs pas en reste…).
Cette insistance n’est pas le fruit du hasard, Facebook collecte un nombre impressionnant d’informations à votre sujet. Souriez, vous êtes traqué·es. Traqué·es pour être manipulé·es ! En effet, à chaque actions que vous entreprenez des algorithmes d’intelligence artificielle calculent (rien que pour vous), les prochaines actions que vous êtes susceptible de faire, les prochains contenus que vous pourriez accepter de voir (et non, que vous voudriez voir, notez bien la nuance). Et ceci se fait souvent au détriment du contenu que vous souhaitez voir et à l’avantage de la publicité ou du dernier contenu brûlant qui pourrait vous faire rester plus longtemps sur la plateforme, pour voir plus de publicités encore.
C’est ainsi que Facebook encourage les contenus rageurs, éloignés du débat sain : jugements, a priori, indignation, révolte… Non pas que tous soient mauvais, mais c’est la dose qui fait le poison. On a observé, d’ailleurs, un effet d’emballement qui a mené à la radicalisation de personnes et à des conséquences dramatiques, bien réelles.
Mais vous êtes également enfermé·es dans vos réactions : un ensemble limité de réactions possibles (7 au total, toutes très intenses émotionnellement), aucune nuance.
Vous prendrez bien aussi également une bonne dose d’enfermement ? Effectivement, non contents de vous manipuler, tout est fait pour vous conserver dans la matrice. Un exemple frappant est la page qui vous prévient que, tout de même, vous allez sortir du site Facebook…
Des efforts d’ingéniosité qui ne sont par contre pas déployés pour traiter le spam ! Ainsi, non seulement, vous recevez de nombreux messages de spam, mais êtes l’incapacité de les supprimer en masse ou de les marquer comme lus.
Des efforts d’ingéniosité qui ne sont pas non-plus mis en œuvre pour effectuer une censure transparente. Sur ce terrain, Facebook est bien le vassal zélé des censures gouvernementales et des postures fourbies de mauvaise foi.
Quand la presse en rajoute : non contente de publier des titres "putaclic", certains groupe de presse vont au delà en n’autorisant pas les liens dans les commentaires (essayez avec les articles de la Voix du Nord, par exemple).
Le plus fou est que cette liste à la Prévers n’est même pas exhaustive…
Ce réseau cumule de nombreux travers cités précédemment, mais il va un peu plus loin dans le bridage de l’expression avec un nombre de caractères limités : il facilite les punchlines creuses mais choquantes.
Ses algorithmes de suggestion sont de plus manipulables : beaucoup de tapage a, par exemple, été fait sur les techniques de manipulation de Twitter par les équipes de campagne d’Éric Zemmour.
On le voit la plupart de ces artifices sont sciemment organisés dans un unique but : générer toujours plus d’utilisation pour obtenir toujours plus de revenus publicitaires. Mais ce faisant, ce sont des impacts sociétaux majeurs et souvent regrettables qui en résultent.
Toute personne ayant utilisé les réseaux sociaux peut s’en rendre compte. Beaucoup de personnes y écrivent des choses qu’elles ne diraient jamais dans la réalité. Le phénomène du harcèlement scolaire s’est d’ailleurs amplifié avec l’avènement des réseaux sociaux.
Les fameuses "fake news", autrement dit, les rumeurs d’antan, sont amplifiées par cette course au sensationnalisme avec parfois des effets désastreux sur notre société.
Ces impacts sont aussi écologiques. Il s’en trouve encore pour dire que les réseaux sociaux seraient meilleurs que les emails en terme d’empreinte numérique mais les calculs gourmands en ressources de profilage incessant pour chaque individu devraient vous convaincre que ce n’est pas le cas. Tout comme les publicités pour des produits que vous n’auriez peut-être jamais désiré acheté sans ces algorithmes orfèvres de la manipulation ciblée.
Il est urgent de proposer des solutions pour des réseaux sociaux proposant des interactions de qualité et une liberté d’expression sans entrave :
Meilleure gestion de l’identité : je suis favorable au fait de garder des espaces d’anonymat pur sur Internet car parfois, c’est la seule manière de prendre la parole. Je suis, en revanche, également favorable à ce que les citoyen·nes puissent exiger des réseaux sociaux auxquels iels s’inscrivent de ne les faire interagir qu’avec de véritables personnes (et non les nombreux robots qui pullulent sur nombre de réseaux).
Pour ce faire, je pense qu’il faut ouvrir France Connect aux opérateurs privés afin de permettre la vérification de l’identité des personnes. Pour une large adoption, je pense qu’il faut assurer sa compatibilité avec OAuth2 (le standard le plus largement utilisé) et renforcer le contrôle de l’identité des personnes qui l’utilisent (via une création de compte à l’état civil de sa commune, par exemple).
Des accords internationaux avec une liste de critères exigeante sur les systèmes d’authentification et d’identité numérique proposés par les États pourraient permettre de conserver des réseaux sociaux internationaux tout en offrant cette garantie.
Ainsi, il n’existera plus aucune barrière technique à créer des espaces de discussion garantissant l’identité des personnes avec lesquelles on entre en interaction.
Ces réseaux sociaux labellisés "vrais humains" et audités selon des cahiers des charges stricts seraient bien plus éthiques et bien moins risqués pour nos adolescent·es.
Censure transparente : la seule censure acceptable est celle qui s’exerce en toute transparence. Les contenus censurés doivent rester disponibles pour toutes et tous dans un espace dédié afin que chaque personne censurée puisse être mise au courant et dénoncer celle-ci et que tout·e citoyen·ne puisse juger par elleux-même de la pertinence de celle-ci. La censure automatique ou reposant sur les utilisateurices pourrait également être transparente (savoir qui a dénoncé quel contenu) par défaut, avec la possibilité de demander l’anonymat. La possibilité d’obtenir des données statistiques doit cependant rester possible malgré cela.
Limitation du nombre de publications par personne/organisation : Un mécanisme efficient de limitation du nombre de publications diffusées doit être mis en œuvre pour permettre d’éviter le spam et/ou le harcèlement. A minima, une personne doit pouvoir décider d’en suivre une autre en accordant au système un nombre limité de publications.
Contenus de presse : pour éviter les articles "putaclics" et la désinformation, un résumé exhaustif doit être rendu obligatoire (technique de la pyramide inversée) pour tout contenu publié sur les réseaux sociaux, notamment pour les sites de presse payants.
Limitation des fonctionnalités à celles permettant une expression sans entrave : texte libre, images, vidéos et commentaires libres (ou réponses) devraient être favorisés plutôt que les réactions ou a minima, les réactions emojis doivent être libres (n’importe quel emoji peut être utilisé).
Amendes pour non respect multiplié par le nombre d’utilisateurices : la masse critique d’un réseau rend plus importants les dégâts provoqués par ce dernier. C’est pourquoi je pense que les amendes doivent être un facteur appliqué au nombre d’utilisateurices du réseau.
Création d’un label "réseau à but social" : Afin de ne pas diriger son public vers des réseaux nocifs pour les populations, un label doit être créé et une interdiction pour les institutions publiques d’utiliser des réseaux sociaux non conformes à ce label doit être prononcée. Les entreprises pourraient également intégrer cela dans leur politique RSE et, éventuellement, ceci pourrait être un critère d’attribution des marchés publics.
Vous avez sûrement remarqué que je suis présent sur les réseaux sociaux ce qui est contradictoire avec le portrait que je viens d’en faire. La raison est simple, je tente de les utiliser comme porte voix, mais tout en cherchant, le plus souvent possible, le contact réel et l’obtention de l’adresse email des personnes à qui je m’adresse. Vous remarquerez que sur ce site, je n’incite pas à me suivre sur les réseaux sociaux, mais bien à s’inscrire sur ma lettre d’information. À vrai dire, avant de m’engager, j’avais quitté Facebook et épinglé sur mon profil un pamphlet à son sujet.
En attendant d’avoir des réseaux sociaux dignes de ce nom, je pense que toutes les organisations, notamment EÉLV, devraient se garder de rediriger leurs adhérent·es vers ces plateformes et plutôt adopter une stratégie d’extirpation des personnes de ces réseaux : utiliser leur audience pour créer des liens via des canaux moins biaisés. Et en tête de proue, la rencontre physique que rien ne remplace :).
Publié le lundi 14 mars 2022 à 10:00:00.