L’écologie dans le Douaisis, avec et pour vous !Nicolas Froidure

Commerce à Douai : osons les communs !

Le commerce de détail Douaisien est moribond malgré les efforts fournis par la municipalité, la désaffection du centre ville semble inéluctable. Pour inverser la tendance, il faudra innover !

Ma conviction est qu’il faut changer radicalement de modèle en réinterrogeant les schémas de consommation classiques, mais aussi, en s’outillant de structures résilientes, facilitatrices du renouveau du centre ville et émancipées des lois du marché.

🔗Un situation critique dans toute la France

Régulièrement dénoncée par l’opposition, constatée par la majorité, la forte vacance des locaux commerciaux du centre ville de Douai est un sujet de débat fréquent au conseil municipal.

Bien qu’il soit tentant pour l’opposition de mettre en cause la mairie, malheureusement, ce phénomène n’est absolument pas cantonné à la ville de Douai, mais touche en vérité toutes les communes : du petit village à la grande agglomération, les fermetures de commerces sont nombreuses. Il suffit de se promener rue de Béthune à Lille pour constater le nombre croissant de locaux commerciaux vacants.

Cependant, Douai fait partie de la frange la plus touchée par ce phénomène : les villes moyennes.

🔗Des causes profondes qui se cumulent

En effet, on regretterait presque le temps où seuls les centres commerciaux nuisaient au commerce de centre ville.

C’est bien entendu toujours le cas, d’autant que, durant ce mandat 2020-2026, de nombreux commerces de périphérie ont de nouveau été implantés : la zone commerciale du Carrefour Market à Sin-le-Noble, les nouveaux restaurants du Raquet, bientôt une extension de la ZAC de l’Hermitage de Lambres… On peut affirmer sans se tromper que Douaisis Agglo n’est pas d’une grande aide sur ce dossier.

Cependant, une autre bascule est entrain de se faire : celle du e-commerce. À un point tel que même les zones commerciales rencontrent des difficultés (la galerie marchande d’Auchan, par exemple, est plutôt vide actuellement).

Ce changement de société va même jusqu’à se faire livrer les mets des restaurants à domicile. Au point que se créent, carrément, des restaurants ne permettant plus de manger sur place (les dark kitchens).

Autre phénomène, le prix de l’immobilier. Les centres villes restent tout de même attractifs et les propriétaires de locaux commerciaux n’entendent pas faire baisser le prix des loyers. Les commerçant·es ont donc bien de la peine à honorer leurs loyers en cas de baisse d’activité. En effet, lorsque les prix de l’immobilier étaient raisonnables, les commerçant·es étaient souvent propriétaires de leurs commerces. Cela leur permettait de passer les périodes difficiles plus facilement car le commerce est fluctuant par nature.

La franchise, aussi, a fragilisé le tissu commerçant local, car les stratégies se dessinent hors les murs et rarement en faveur de la gérance (parfois, les personnes en gérance ne peuvent même pas décider des marchandises qu’elles proposent à la vente). Cette uniformisation nuit à la résilience de ces commerces qui sont inadaptés au local et vulnérables aux décisions nationales.

Photographie du magasin de mes grands parents Caroline et Georges Vernez Issu d’une famille de commerçant·es, je sais aussi que le commerce est une compétence difficile à acquérir. Autrefois, les commerçant·es vivaient généralement dans leur magasin, ou, a minima, dans la commune de leur établissement (c’était le cas de mes grands-parents dont le magasin situé à côté de la Boule Rouge illustre cet article). C’était généralement une histoire de famille (avec les travers qui ont notamment nécessité la création du statut de conjoint·e collaborateur·ice).

Aujourd’hui cela tend à devenir un travail comme un autre avec une plus grande séparation entre le privé et le personnel. Cela n’est pas une mauvaise chose en soi, mais se pose alors la question du parcours de formation, de l’amplitude horaire d’ouverture, de la régularité des horaires… des questions centrales pour la viabilité d’un commerce.

Enfin, les aspects règlementaires sont bien plus nombreux : sécurité incendie, hygiène, règlementations spécifiques… des aménagements qui pèsent financièrement et peuvent parfois créer de l’incertitude.

Bref, sans être exhaustif, on peut affirmer que le commerce de centre ville n’a pas le vent dans le dos et risque de s’effondrer totalement sans un coup de pouce.

🔗Des mesures aux effets limités

De très nombreux projets ont été mis en œuvre pour tenter de redynamiser le centre ville (programme action cœur de ville, réfection des rues commerçantes à coup de millions d’euros, aides au loyer pour les commerçant·es, rachat et réfection de bâtiments par la commune, reconcentration du commerce via le PLU, bons plaisirs, site e-commerce acheter à Douai, aide au ravalement de façade, boutiques à l’essai…).

Ces mesures pourraient être améliorées, notamment, en demandant des contreparties aux commerces aidés comme la mise en œuvre d’une politique RSE (réduction des déchets, inclusion...) ou encore la publication des comptes normalement obligatoire, mais peu respectée.

Mais, malgré le budget significatif consacré à ces efforts, leurs effets restent de l’ordre du maintien sous respirateur artificiel. Il n’est pas évident d’ancrer durablement les nouveaux commerces afin de contrebalancer les fermetures.

🔗Faire fi de la nostalgie

Alors, oui, il faut lutter contre la désertification des commerces de centre ville, mais la solution n’est pas la nostalgie.

En effet, les changements décrits précédemment n’ont pas vocation à s’inverser. Il y a même fort à parier qu’ils vont s’amplifier avec la disparition progressive des baby boomers.

Cela je l’ai compris il y a dix ans quand l’accueil de l’entreprise qui m’employait était devenu un dépôt de colis (les employé·es de startup sont plutôt jeunes).

Depuis toujours, les commerces s’installent là où il y a des flux. Le temps où l’on se "faisait un Bellain" uniquement pour ses commerces est révolu car il est bien plus simple et pratique de faire une recherche Internet.

La solution impliquera donc une politique conjointe de création de nouveaux flux pour d’autres raisons (culturelle, sociale, touristique, pratique) et de réinvention du commerce (moins tourné vers le marketing produit, mais plus sur la relation client, la réparation, la qualité, la transparence…).

La création de nouveaux flux est enclenchée grâce à des initiatives comme la bibliothèque Cœur de Bellain dont les agentes qui l’animent se sont remarquablement saisies en allant vers les passant·es, en les invitant à y entrer.

Il faut, cependant, aller un cran plus loin en concentrant les évènements culturels (et évitant l’éparpillement, c’est une des raisons qui fondent mon avis négatif sur la subvention accordée au Plein Air Festival). À mon sens, il faut ancrer dans l’esprit des personnes qui fréquentent Douai qu’il ne se passe pas un samedi sans qu’il y ait une animation dans le centre ville. Théâtre de rue, concours, animations, concerts, micro-crochets, … les idées ne manquent pas. La création dun kiosque propice à accueillir de façon polyvalente toute sorte d’animations place d’Armes serait de ce point de vue une mesure concrète forte.

🔗Face à un problème collectif, la solution est collective

Mais toutes ces mesures n’adressent pas les problèmes de fond cités précédemment. Or, il me semble qu’il est possible de catalyser l’envie des habitant·es de dynamiser leur centre ville, le besoin des commerçant·es de pérenniser leur activité et la difficulté de la ville à gérer tout cela de front.

Pour ce faire, il faudrait mettre en place une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) constituée d’au moins quatre collèges : les commerçant·es, les usagèr·es, les collectivités et bien-sûr, les salarié·es.

La création de cette SCIC serait propulsée par des apports en capital divers :

  • apport en nature de biens immobiliers commerciaux (détenus par la ville/l’agglomération, par des propriétaires ou commerçants souhaitant convertir leur bien en parts mobilières),

  • souscription de la part de particuliers/entreprises/collectivités souhaitant donner un coup de pouce au développement du commerce.

L’idée pour la collectivité est de s’affranchir de la lourdeur d’une gestion en régie tout en redonnant de l’indépendance financière aux commerçant·es. En effet, le bailleur devenant la SCIC (probablement par le biais d’une SCI qu’elle détiendrait), les commerçant·es se verraient affranchi·es de la main-mise des propriétaires sur leur outil de travail tout en ayant la possibilité de souscrire, petit à petit, des parts de la SCIC.

Les statuts pourraient garantir le bail pour toute la durée de l’activité du/de la commerçant·e et même prévoir un double mécanisme d’achat de parts en cas de bilan positif (obligatoire tant que le nombre de parts détenues est inférieur à 50% du prix du local occupé) et de rachat de parts en cas de difficulté temporaire à payer le loyer.

Cela faciliterait également la revente du fond de commerce qui serait adossée à la jouissance du local commercial moyennant la souscription de parts de la part du repreneur ainsi que le respect d’une corrélation raisonnable entre chiffre d’affaire et prix du fond de commerce. Ce·tte commerçant·e basculant alors dans le collège habitant·es ou, pourquoi pas, un collège commerçant·es retraité·es (pour passer la main progressivement).

La sortie de la propriété immobilière des collectivités serait aussi facilitée puisque progressive. On imagine qu’à la création, la ville de Douai et l’agglomération seraient en possession d’une large part du capital, mais que leur désengagement progressif serait assuré par le rachat progressif des parts par les commerçant·es/habitant·es.

Comme le principe d’une personne égale une voix est en vigueur dans les sociétés coopératives, le poids des collectivités serait mineur malgré une participation majoritaire au début, excluant le risque d’incertitude due à l’alternance politique.

Les habitant·es auraient cependant leur mot à dire et cela favoriserait le lien avec les commerçant·es et leurs problématiques concrètes.

🔗Une SCIC support

Elle pourrait, en effet, lisser les efforts d’entretien des biens immobiliers qu’elle aurait en gestion, dans l’intérêt commun des sociétaires.

Au delà de l’aspect immobilier, il serait possible d’envisager un grand nombre de missions pour cette SCIC : de la dynamisation commerciale à la maintenance, la sécurité etc…

Finalement, elle apporterait une sécurité financière, un cadre collégial pour la coordination entre les parties prenantes et une solidarité entre toustes les commerçant·es.

En conclusion, vous le savez, je suis un ardent défenseur du modèle coopératif qui redonne le pouvoir aux personnes plutôt qu’aux euros. Je trouve qu’il sied particulièrement aux problèmes qui traversent le commerce de centre ville.

Il y a également un certain nombre de mesures importantes à mettre en œuvre qui s’inscrivent dans ma vision de l’aménagement d’une ville.

Je serais heureux de recueillir votre avis, notamment, si vous seriez intéressé, en tant que commerçant·es ou habitant·es à y participer financièrement.


🔗Note rétrospective du 18 juin 2025

Suite à quelques retours, voici un complément sous forme de foire aux questions :

  • l’idée est intéressante mais je crains que la/le Douaisien·ne moyen ne soit pas suffisamment motivé·e pour s’engager financièrement : C’est effectivement un pari, bien que les SCIC peuvent rémunérer leurs sociétaires, ça ne sera pas le placement le plus rentable, mais il y a bien des gens qui font ce type de placement (par exemple, je suis sociétaire d’Enercoop/Telecoop/Politis, je n’ai encore reçu aucun dividende sur mes parts sociales de ces sociétés, mais je suis très heureux de participer à leur développement),

  • je ne comprends pas bien le mécanisme, notamment le système d’achats / rachats de parts. Le "nerf de la guerre", c’est toujours l’argent, et je suppose que la SCIC devrait acquérir des locaux pour les louer ensuite à un prix inférieur au marché ? Le coût d’acquisition peut être très important, qui va le financer ? Probablement pas les particuliers, à moins qu’il y ait quelques mécènes dans la ville ? La Ville de Douai, donc les contribuables ? Effectivement, l’idée est de transférer la propriété foncière des locaux commerciaux de la ville à un opérateur privé qui est la SCIC. En fait, aujourd’hui, c’est de l’argent déjà dépensé, il n’y a donc pas d’investissement à réaliser pour la ville, simplement, une mise au pot pour démarrer le projet. Comme une SCIC ne peux être détenue à plus de 50% par une collectivité, il sera nécessaire de lever autant d’argent auprès d’autres acteurs ou, plus probablement, de former une SCI, d’établir une concession immobilière et de revendre progressivement des parts de la SCI à la SCIC au prix du marché.

  • la Ville qui risque d’avoir durablement la majorité des parts à mon avis. Est-ce que c’est dans son intérêt si elle n’a pas la majorité des votes ? L’intérêt de la ville est multiple. D’abord, se désinvestir de la propriété foncière. Ce sera de toute façon le cas à terme, la différence ici, est que ce désinvestissement s’accompagne d’un couplage fort entre l’intérêt des commerçant·es, des habitant·es et des propriétaires. Ainsi, la ville ne risque pas de mettre sur le marché des biens et de les voir revenir quand les nouveaux propriétaires en auront profité jusqu’à l’os sans jamais faire de travaux. L’autre intérêt est de déléguer la gestion à un acteur spécialement conçu pour. Nous l’avons vu, la ville n’est pas suffisamment agile pour gérer ce type de projet. Alors certes, elle perd en souveraineté, mais comme ce sont les usager·es et les commerçant·es qui en bénéficient, cela ne peut pas être nuisible à l’intérêt de la collectivité. Ceci dit, les collèges peuvent être constitués à des pourcentages différents de décision. Exemple, collège commerçant·es 40% / habitant·es 30% et collectivité 30%, ce sont les statuts qui le précisent.

Publié le mardi 10 juin 2025 à 19:00:00.