De la “low tech” au lâcher prise en passant par la ville nourricière, l’aménagement urbain écologique allie bien-être des habitant·es, justice sociale, amélioration du cadre de vie, favorisation de la bio-diversité, adaptation au changement climatique et réduction des coûts d’entretien.
Au travers de ce billet illustré de cas pratiques concernant la ville de Douai, je vais décliner une vision originale mais porteuse d’espoir pour relever les défis du réchauffement climatique et de l’augmentation des coûts de l’énergie.
J’écris cet article de manière tout à fait bienveillante car je sais que ce n’est pas toujours simple de prendre de la hauteur quand on a le nez dans le guidon. Par ailleurs, de nombreuses communes, Douai comprise, ont déjà amorcé bien des actions grâce à des individus qui ne lâchent rien. C’est donc plus pour une accélération et un véritable filtre écologique que je plaide ici.
Je souhaite aussi convaincre celles et ceux qui seraient encore empêtré·es dans l’habitude, le déni, le doute ou la stupeur. Nous devons changer radicalement les politiques publiques pour faire face à l’urgence climatique.
La commune est une des plus petites divisions administratives, en ce sens, elle est la plus proche des citoyen·nes. Elle facilite la démocratie participative dont je reparlerai sur ce blog.
Elle est également l’échelon rêvé pour l’expérimentation, pour changer concrètement la vie des gens.
Par son aspect communautaire, elle permet de fédérer autour d’un projet, d’une vision qui puisse s’intégrer dans une identité locale spécifique.
Son aménagement intelligent est un préalable à la transition écologique et nécessite des arbitrages mettant en balance divers concepts souvent opposés et des budgets souvent contraints.
Face à la multiplication des événements climatiques extrêmes, l’aménagement urbain doit se recentrer sur l’essentiel, préférer les actions simples qui font levier plutôt que les grands projets déconnectés.
Ce qui peut frapper, quand on s’intéresse à l’aménagement d’une ville, c’est l’obsession du contrôle. On prévoit des usages et on ne permet qu’eux.
Un exemple concret; les bancs anti-clochard·es : on ne souhaite pas qu’un endroit soit squatté alors on supprime les bancs ou on les rend suffisamment inconfortables pour qu’ils ne puissent pas être utilisés de façon non-souhaitée (pas de dossier, bancs inconfortables, impossibilité de s’allonger dessus…).
Il est pourtant possible, comme dans le quartier de Bois-Blanc à Lille, d’au contraire permettre un véritable confort allant jusqu’à la position allongée, comme sur cette photo.
On peut aussi évoquer la clôture du parc Bertin que j’ai personnellement dénoncée. On constate des trafics ? On ferme : qu’importe tout ce qui est rendu impossible puisque ce qui gêne semble maîtrisé.
Cette stratégie conservatrice de repli sur des usages imposés par le haut est non seulement critiquable sur le point philosophique, mais aussi inefficace dans les faits.
En effet, le parc est toujours squatté la nuit. Pire, les portes sont vandalisées et donc des détours sont nécessaires pour qui veut simplement traverser le parc en journée et les coûts d’entretien explosent.
Comble de l’ironie, l’entrée du parc est signalée parc un rétro-éclairage LED alors qu’à ces heures nocturnes, il n’est plus possible d’y entrer.
On peut également citer l’exemple des aires de jeu. La stratégie actuelle est de les regrouper (pour des économies d’échelle et d’entretien), mais ce faisant, la petite aire de jeu au pied de l’immeuble tend à disparaître pour une plus grande plus loin.
Ainsi, il devient impossible de garder un œil sur les enfants qui jouent dehors pendant que l’on prépare le repas. Aller jouer dehors devient une démarche, ce n’est plus une commodité.
J’ai pu constater en discutant avec Christine Garnier (élue à Grenoble) et Tristan Debray (élu à Lyon) qu’une politique de diffusion éparse d’éléments ludiques était non seulement possible mais plébiscitée par les enfants.
D’ailleurs, l’un n’empêche pas l’autre. De grandes aires de jeu sont utiles pour la sortie en famille et de petits jeux parsemés pour la vie de tous les jours aussi.
La vision que je défends est de créer les possibles. Tout d’abord, parce que le contrôle se heurte au détournement des usages prévus, mais aussi car il me paraît prétentieux de juger de ce qui est bon pour les habitant·es.
En effet, reposer sur l’intelligence individuelle et collective est souvent, non-seulement fructueux, mais produit aussi des résultats parfois étonnants d’inventivité et de bon sens.
C’est le principe de subsidiarité, cher aux écologistes : les décisions doivent être prises à l’échelon le plus proche possible de celles et ceux qui en seront impactées.
Pour ce faire, on peut tenter de mettre en œuvre des mécanismes de démocratie participative, mais le plus souvent, simplement rendre les choses possibles, ou tout du moins, éviter de les rendre impossible, libère les choix des individus. C’est de la démocratie participative extrême : chacun·e se trouve libre d’évoluer sans entrave dans sa commune.
Il existe à Douai, des initiatives qui se rapprochent de ce type de fonctionnement. Les boites à livres, par exemple, sont de véritables sources de sérendipité. Certes, elles sont parfois détournées (il se dit que des livres qui y sont déposés sont revendus ailleurs).
Mais honnêtement, faut-il supprimer ces boîtes et tous les possibles qu’elles créent pour quelques personnes qui complètent leur revenu via l’économie circulaire ? Je ne pense pas.
Je pense même qu’il faut aller plus loin et créer des boîtes à livres pour enfant, positionnées dans les aires de jeu et disposées à leur hauteur.
La ville nourricière est un autre exemple que je défends corps et âme car, non seulement elle crée les possibles (offrir une variété alimentaire aux plus démuni·es, permettre aux enfants de connaître le plaisir de la cueillette) mais elle rend la ville plus résiliente en cette période de réchauffement climatique. Pas une occasion de rendre la végétation comestible ne devrait être manquée.
On oppose à cela la pollution des sols mais des élu·es écologistes ont pu, dans d’autres villes, mettre en place des initiatives semblables en faisant simplement des prélèvements pour détecter au préalable une éventuelle pollution. À Lyon, une aire de jeux avec un verger en libre accès vient d’être mise en place.
Toujours sur la création des possibles, on entend souvent dire que notre démocratie est atone, mais quand on y réfléchit, qu’est-ce qui la dynamise dans l’aménagement des villes ? Je suis favorable à la création d’espaces d’expression libre dans des lieux fréquentés : une estrade, un micro, des espaces d’affichage réservés à l’expression politique.
D’ailleurs, les panneaux d’expression libre de Douai sont vampirisés par l’affichage commercial. Une ville comme Grenoble interdit carrément toute publicité, ce faisant, elle supprime une autre forme de contrôle, celui de la publicité sur nos décisions.
Indépendante du contrôle, mais souvent amplifiée par ce dernier, vient l’automatisation. C’est le fameux solutionnisme technologique. Plutôt que de rémunérer des personnes, on recherche l’automatisation, ce qui finit souvent par déplacer le besoin en main d’œuvre, plus qualifiée donc plus onéreuse.
Parmi les exemples d’automatisation générés par le souhait d’exercer du contrôle, on peut citer les portes automatiques vues précédemment qui sont régulièrement dégradées, mais on peut aussi citer les parcmètres (qui en sus du contrôle sont sensés générer un revenu pour la ville qui s’avère en réalité mineur).
Les automatisations supposées générer des économies de main d’œuvre telles que les toilettes auto-nettoyantes sont également un bon exemple de ce qui à mon sens génère finalement plus de problèmes qu’elles n’en règlent.
La ville automatique est une chimère. Toute technologie nécessite de la maintenance. Un exemple concret serait l’ascenseur de Gayant Expo régulièrement en panne. Malheureusement, la future passerelle d’Euradouai voulue par l’agglomération n’en tire pas d’enseignement et ce sera un ascenseur plutôt qu’une passerelle cyclable de bout en bout qu’on y trouvera.
Une solution simple est pourtant disponible : la low tech. L’idée est d’éviter de créer des systèmes trop complexes afin de limiter la difficulté de les maintenir.
En lieu et place des parcmètres, on peut utiliser des disques de stationnement. Ces derniers ne nécessitent aucun aménagement autre que de simples panneaux signalant les règles de stationnement. Ils fonctionnent donc partout (dans toutes les villes), ne génèrent aucune maintenance et ne consomment pas d’énergie.
Les disques de stationnement peuvent même créer du lien avec les commerçant·es qui peuvent en revendre pour les personnes de passage.
Bref, on le voit les solutions automatisées, ou "high tech" sont en réalité souvent scabreuses, compliquées à maintenir quand les solutions durables et éprouvées s’avèrent généralement bien plus simples et flexibles.
Une autre question, qui est finalement liée, est la prévention. En effet, la bien connue loi de Murphy stipule que tout ce qui peut tourner mal, tournera mal à terme.
D’où la vacuité de tenter de maîtriser absolument tous les flux. Un exemple frappant à Douai est ce dispositif que j’imagine anti scooter.
Pourtant, il n’est pas rare de voir des scooters pénétrer ces zones. En revanche, les cyclistes sont obligé·es de mettre pied à terre, freinés dans leur progression.
A contrario, certaines situations sont véritablement dangereuses comme les feuilles et branchages sur les pistes cyclables. Bien souvent, elles ne sont pas uniquement le fait des chutes d’arbres, mais aussi du nettoyage de la chaussée qui refoule tout cela sur les pistes en bordure.
En informatique, on a un diction "Pas prod pas de problème !". En matière de voirie, pas de voirie, pas de soucis ! Pour prévenir les accidents, il me semble urgent de limiter la place de l’automobile et d’augmenter le réseau cyclable, piéton et végétalisé avec l’espace ainsi gagné.
C’est une bonne façon de prévenir la violence motorisée et de guérir la ville !
Un autre danger dans l’aménagement, comme en politique de façon générale d’ailleurs, est de raisonner toutes choses égales par ailleurs.
Toutes choses égales par ailleurs, rouvrir les centrales à charbon n’est pas un problème. Mais en élargissant la focale, on se rend bien compte que le réchauffement climatique en serait renforcé. C’est que que l’on appelle une externalité négative.
Raisonner en silo est dangereux, ce n’est pas parce que la ville n’a pas telle ou telle thématique à sa charge qu’elle peut se permettre de l’ignorer. Faire faire des économies à la sécurité sociale ne remplit pas les caisses de la ville, mais améliore indirectement la vie de ses habitant·es.
C’est pour cela que je suis en faveur de l’application stricte du filtre écologique aux dépenses et investissements de toutes les collectivités.
Un excellent moyen d’éviter les effets de silos est de sortir des projets gigantesques où l’on part d’une feuille blanche pour créer une aire de jeu, une rue… De petites actions mélioratives me semblent préférables, même si elle sont moins visibles des citoyen·nes (et donc, ne sont pas mises au "crédit" des élu·es).
Nous devons privilégier des petites impulsions qui font levier plutôt que des projets pharaoniques qui risquent de rater leur cible pour de pures visées électoraliste et/ou de postérité…
Les silos idéologiques représentent également un danger pour notre avenir commun. Si chacun·e s’arc-boute sur sa verticale (l’écologie n’est d’ailleurs pas épargnée, du tout climat, à l’anthropomorphisme en passant par la mystification volontaire ou involontaire de la Nature), alors, il n’y a aucune chance d’advenir à une doctrine écologique qui fasse système, qui soit connectée à notre époque, ses enjeux et le contexte dans lequel la transition écologique doit prendre racine.
Une manière simple de partir de l’existant est la consultation. À condition de ne pas tomber dans ses pièges : échantillon biaisé (par les horaires des réunions, par tirage au sort, par manque d’allers vers).
La consultation ne se substitue pas aux élections, elle s’inscrit dans une vision qui a été proposée aux électeurices et qui a réuni une majorité. Sans cela, l’action publique ne serait qu’un patchwork de requêtes individuelles plus ou moins satisfaites (et on tomberait alors dans le clientélisme politique).
Il s’agit plutôt d’aller chercher l’expertise d’usage; gros mot pour dire qu’on connaît ce qu’on expérimente quotidiennement mieux que tout·e expert·e venu dresser un diagnostic.
Pour ce faire, il faut apporter la méthode, fixer les possibilités. Au sein de ce cadre, tout doit alors être possible.
Il n’est rien de plus délétère pour l’engagement citoyen que les consultations déceptives aux règles mouvantes. En politique comme en tout l’écoute est authentique ou n’est pas.
En ce siècle où le temps est vampirisé par toutes sortes de distractions et d’intempestives interruptions de l’attention, rien n’est moins honni qu’une réunion improductive.
En fait, à mon sens, l’assentiment des électeurices et la postérité sont à rechercher dans l’application d’une vision véritable de ce que la commune peut et doit impulser.
J’ai presque envie de dire que la postérité mal acquise ne profite à personne. Et c’est là je pense le drame de notre époque. La vision court-termiste des responsables politiques les inscrit hors du cours de l’Histoire, en marge des défis réels que nous devons affronter et qui vont s’amplifier sans discontinuer.
Malade de son propre essor la civilisation s’enferme dans le déni et la traduction électorale de ceci est que nous élisons des gestionnaires sans aucune vision. Mais ce faisant, nous tendons la perche aux réactionnaires, dont l’offre politique est faite de reculs et de repli sur soi. L’intelligence situationnelle nous somme d’impliquer toutes les parties, condition sine qua non de notre propre survie.
Il est indéniablement urgent de sortir du statut quo pour offrir à nos concitoyen·nes une vision ambitieuse de l’avenir, quitte à essuyer des échecs, ce sera toujours mieux que l’inaction. Comme le disait Nelson Mandela, “soit je gagne, soit j’apprends”.
Nous avons à gagner un futur désirable, nous avons à apprendre le sens du temps long et la responsabilité des conséquences de nos modes de vie. Nous avons à apprendre le respect de la Nature, le dépassement de l’individu et la reconquête de l’espoir pour toustes. Et nous avons, aussi, à réapprendre les principes même qui ont édifié notre République. Une République qui sera écologique ou s’éteindra avec les rêves de justice et d’égalité de nos prédécesseurs.
La commune, plus petit échelon administratif français, doit être le berceau des possibles. L’aménagement de ces dernières conditionnera notre capacité de résilience face aux répercussions systémiques des effets du réchauffement climatique.
Pour cela, comme je l’ai démontré ci-dessus, il faut appliquer une méthode simple :
sortir des silos et faire système,
créer les possibles et renoncer au contrôle systématique,
simplifier l’action,
démocratiser les décisions,
appliquer une vision et refuser de faire de la gestion pure.
Publié le samedi 3 septembre 2022 à 12:00:00.