Depuis mon adhésion chez EÉLV, j’ai eu, à plusieurs reprises, l’occasion de réfléchir au rôle que pourrait y occuper le numérique. D’une part, car c’est mon métier au quotidien, et d’autre part, car j’ai la conviction que le numérique peut devenir vecteur d’émancipation humaine et que ceci peut donner un avantage indéniable au parti politique qui embrasserait la technologie.
Étant nouvellement élu au Com’On EÉLV (instance nationale des outils numériques), je fais, un peu à l’envers, par le biais de cet article, ma profession de foi.
En effet, l’appel à candidature m’étant parvenu sur le tard, je n’ai pu mettre en avant qu’un CV et pas forcément la vision que je souhaite y porter.
Un des travers les plus marquants des outils numériques est qu’ils sont généralement développés, au mieux, auto-centrés (l’humain est forcé de s’adapter à la machine) au pire, aliénant ( la machine contrôle l’humain par le truchement de techniques bien connues des expert·es du numérique avec peu de scrupules : dark patterns, internal triggers…).
D’un côté, la médiocrité dans l’exécution crée un logiciel inutilisable, frustrant, de l’autre l’excellence au service d’intérêts privés abouti à un quasi contrôle des actions des utilisateurices via les neurosciences.
Il existe, bien-sûr, un chemin alternatif : faire peu de choses, mais les faire bien. Mettre en place des outils numériques quand ils rendent de véritables services sans pour autant devenir des passages obligés (j’y reviendrai).
Bref, des outils numériques au service des humain·es qui :
minimisent le temps passé devant un écran : l’objectif est de rendre service le plus simplement et rapidement possible,
s’adaptent aux personnes et donc permettent un recours au papier : une adhésion vaut bien un timbre par mois,
rendent des services qui justifient le recours au numérique : pas une simple numérisation de choses par ailleurs faisables en vrai sans frais,
favorisent les interactions entre humain·es tout en respectant leurs capacités et leurs rythmes biologiques : pas de notifications la nuit, du contenu synthétique et arborescent, la possibilité de découvrir et contacter les adhérent·es, de se constituer autour d’idées…
créent des possibles : si les partis écologistes et de gauche prenaient le temps de co-construire leurs systèmes informatiques, de les rendre poreux, alors, l’union de l’arc humaniste pourrait sembler plus atteignable.
Créer un système d’information dans un parti où la subsidiarité, la démocratie et le libre arbitre sont au cœur des velléités statutaires requiert de se baser sur des principes incontournables et, bien-sûr, de les faire vivre, pas uniquement de les afficher.
Une telle mise en œuvre doit se baser sur des principes incontournables :
open-source et logiciel libre : on l’a vu, le logiciel, c’est un pouvoir, et il ne peut y avoir de pouvoir consenti sans contrôle et sans règles connues de toutes et tous. Seul l’open-source et le logiciel libre nous offrent cette garantie, il s’agit donc autant que faire se peut, d’utiliser des logiciels libres et de publier les sources de nos logiciels,
interopérabilité : il est bien entendu hors de question d’imposer à nos adhérent·es l’utilisation de tel ou tel système d’exploitation, les services rendus par les outils numériques d’EÉLV doivent donc être interopérables, c’est à dire fonctionner quel que soit le terminal utilisé par nos adhérent·es,
respect des standards : pour obtenir cette interopérabilité, le choix le plus rationnel est celui du respect des standards indépendants de l’industrie informatique. Ceux qui ont aujourd’hui le plus de maturité sont, bien entendu, ceux du web : HTML, CSS, JavaScript, HTTP…
connectivité : un parti qui souhaite gouverner avec l’assentiment de la majeure partie de la population doit être dans la porosité et le partage, pour ce faire, les services numériques que nous utilisons doivent permettre une forte connectivité avec les systèmes tiers,
composabilité : plus que de la connectivité, ces services doivent offrir une certaine composabilité. Une motion, un collectif doivent pouvoir se saisir de ces outils pour créer de nouvelles possibilités,
inclusivité : accessibilité des sites web, prise en compte de la diversité, des handicaps ou simplement des préférences des utilisateurices doit être au centre des préoccupations des artisan·es de notre système informatique…
sobriété : un parti écologiste se doit d’être exemplaire dans sa gestion des ressources de la planète et notamment de ses systèmes d’information, cependant, les règles de la sobriété numérique sont complexes et varient selon les échelles auxquelles on les considère, c’est ce que je m’efforce de rendre compte à mes étudiant·es durant mes cours sur le numérique et l’écologie,
respect de la vie privée : bien-sûr, la sécurité et la confidentialité doivent rester au cœur de nos systèmes d’information, le respect du RGPD doit être implémenté à la conception de tout service numérique proposé par nos instances,
excellence : enfin, car c’est souvent ici que les bonnes intentions se fracassent sur le mur de la réalité, il faut développer l’excellence comme une exigence qui permette à tous les principes que j’ai énumérés de prendre vie. L’informatisation a pour conséquence de faire entrer les développeurs/euses dans la vie des gens. Cet impact doit être positif et l’excellence dans la mise en œuvre est une condition sine qua non du succès d’un outil numérique.
Certain·es auront noté certains principes que j’ai volontairement omis de cette liste car je pense qu’il ne faut pas s’y tenir coûte que coûte :
l’auto-hébergement : quand ceci est possible sans perte de qualité, de sobriété et d’efficience, bien-sûr, il ne faut pas s’en priver. Néanmoins, c’est se compliquer la tâche d’assumer un métier hautement technique pour des petites structures. En utilisant des standards tels que docker, l’intégration continue, l’infrastructure as code, il est possible de s’héberger via des prestataires tout en garantissant un haut niveau de confidentialité des données,
l’associatif : bien-sûr, à niveau de service égal, faire appel à des prestataires associatifs ou issus de l’ESS est une bonne idée, cependant, je pense qu’il est contre productif d’élever cela en principe prescriptif car l’objet d’un parti politique est de gagner et transformer la société pour voir advenir des alternatives crédibles, la pensée magique qui voudrait que tout ce qui est associatif est meilleur est malheureusement biaisée. Il vaut mieux parfois faire appel à une société privée plutôt que d’acheter un service dysfonctionnel à une association, tout est question de contexte, voilà pourquoi élever ceci en principe premier est une erreur si l’excellence n’est pas au rendez-vous.
Pour ce faire, voici à mon sens les briques essentielles à tout parti politique, et, a fortiori, à EÉLV :
une authentification unique : ou SSO en anglais permet de s’authentifier à diverses application différentes à partir d’un même système. C’est exactement le rôle que notre mouvement doit jouer en droite ligne de son principe de subsidiarité. Permettre à toute personne adhérente d’EÉLV de s’en prévaloir auprès de systèmes tiers tout en lui donnant le contrôle sur les informations qu’elles partage avec ces tiers. Avec ce type de système, un·e adhérent·e EÉLV peut se connecter à diverses applications, dont une plateforme proposant une primaire de la gauche ou l’établissement d’un programme commun. De nos jours, ce sont les standards OAuth2 et OpenID qui sont les plus utilisés,
une interface programmatique : ou API en anglais, permettant à EÉLV de proposer aux systèmes tiers d’entrer en interaction avec son système d’information : partage de communiqués, gestion des réseaux sociaux collaborative… un grand nombre de possibilités peuvent naître de la mise en place d’une API ouverte, documentée et simple d’utilisation,
plateformes et outils : des outils de vote, d’organisation de visio-conférence existent déjà, mais nous pourrions aller plus loin en proposant des interfaces de gestion horizontales de groupes locaux, de maintien de la relation GL/sympathisant·es, de dynamisation de la coopérative et des commissions, d’organisation des campagnes de tractage et collage… ces plateformes pourront exister si l’authentification unique et l’API sont mises en œuvre avec succès,
gestion de contenu : un espace de gestion de contenu centralisé qui puisse servir de base à la création de la grande nébuleuse de sites web, motions, framapads et autres textes que gère EÉLV me semble être nécessaire. Des outils libres comme certains "headless CMS" sont tout indiqués,
annuaire / lettres d’information : des efforts non négligeables sont déployés par de nombreuses personnes adhérentes à EÉLV pour se constituer une audience d’adhérent·es et sympathisant·es. Ce travail se fait malheureusement souvent en dehors des outils du parti via les réseaux sociaux et autres messageries instantanées. Cela représente un gâchie important d’énergie militante. EÉLV devrait pouvoir offrir à tout·e adhérent·e la possibilité de créer ses propres contenus, sites Internet, lettre d’information afin de communiquer avec les autres adhérent·es simplement et efficacement. EÉLV devrait également permettre à ses adhérent·es de facilement se regrouper en fonction de leurs intérêts et de leurs idées communes.
Enfin, le numérique est vecteur d’innovation, et les partis peuvent s’en saisir pour innover. Faut-t-il qu’EÉLV dispose de son propre logiciel ? Si oui, lequel développer ?
Difficile de répondre à ces questions, sans établir l’état des lieux des ressources nécessaires (principalement militantes) et de la méthode qui puisse permettre de la mobiliser de manière efficace.
Les principes cités plus haut tels que l’open-source, la transparence et l’horizontalité sont autant de moyens qui pourraient permettre à EÉLV de construire le système d’information qui lui ressemble et lui permette d’inscrire, littéralement, dans son logiciel, un fonctionnement aligné avec ses idéaux : subsidiarité, transparence, démocratie et respect du vivant.
Tout un programme à développer en commun, dont une partie est déjà mis en œuvre et qui ne demande qu’à être développée !
Ce long article est un aide mémoire et aussi un document de travail il évoluera en fonction des discussions que nous aurons au sein du Com’On, avec les adhérent·es, selon leurs retours d’expérience, leurs envies… je suis donc bien entendu friand de vos remarques et suggestions :). À très bientôt !
Publié le lundi 20 décembre 2021 à 16:15:00.