Signal faible parmi un faisceau convergent, lors d’une consultation pour entorse, mon médecin traitant m’a annoncé son départ en retraite. Son professionnalisme et la qualité de ses soins manqueront à toute notre famille, mais c’est une retraite plus que méritée.
Problème : ce n’est pas le seul. Selon ce dernier, cette année, à Douai, quatre médecins généralistes partent en retraite. À raison de plus d’un milliers de patient⋅es pour chacun⋅e d’entre elleux, c’est une bonne partie des 39 000 habitant⋅es de la commune qui vont se trouver impacté⋅es.
Autre problème : aujourd’hui, à Douai, tout le monde, n’a pas de médecin traitant. Pour preuve, lors de la dernière réunion de quartier, l’un d’entre nous expliquait déjà qu’il n’avait pas pu trouver de médecin traitant.
Combien d’entre nous sont dans cette situation ? Difficile de le dire. On peut en revanche penser que ce phénomène risque de s’accentuer. On peut également citer la disparition programmée du cabinet médical SNCF de Douai qui risque de provoquer un afflux dû au report des patient⋅es de ce dernier.
Il y a 10 ans, à l’occasion d’un départ en retraite, France 3 réalisait un reportage sur le déjà “éternel problème de la désertification médicale” à Douai.
Bien entendu, ce problème n’est pas spécifique à notre commune. Selon le journal La Dépêche, le 30 juin 2021, la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM), annonçait que "11% des patient⋅es de 17 ans et plus n’avaient pas de médecin traitant" (soit 5,9M de patient⋅es), en 2019, c’étaient 9,6% soit 1,4% de moins…
C’est donc à une situation de pénurie globale, en augmentation, que nous faisons face, mais elle ne se répercute pas uniformément entre les territoires.
En 1971, alors que les médecins sont jugé⋅es en trop grand nombre (situation que l’on aimerait connaître aujourd’hui…), le “numerus clausus” est mis en œuvre. Objectif : limiter la quantité de diplômé⋅es arrivant sur le “marché” chaque année.
La forme de cette courbe (source Wikipedia) est parlante. Pendant que la population française passait de 52M en 1971 à 57M en 1992, le nombre de médecins formé⋅es baissait de plus de 59%. Ce n’est qu’en 2002 que ce nombre augmente de nouveau.
On obtient une sinusoïdale qui crée nécessairement une perturbation dans le système de santé. Perturbation que nous subissons maintenant de plein fouet.
Le numerus clausus fût supprimé en 2019 et remplacé par un “numerus apertus” sensé être ajusté aux besoins territoriaux par une concertation entre les facultés de médecine et l’Agence Regionale de Santé (ARS).
Espérons que ce système s’avère plus efficace que le précédent dans ses anticipations. Cependant, comme leur nom ne l’indiquent pas, les ARS ne sont pas gérées par la région. Elle sont du ressort des ministres de la santé ce qui me semble inopportun pour obtenir une politique de santé adaptée réellement aux spécificités territoriales.
Bref, vous l’avez compris, la santé publique relève encore beaucoup de l’État, et le moins que l’on puisse dire, est que le gouvernement actuel est plus préoccupé par les cadeaux aux entreprises et milliardaires que par la santé de la population.
Il existe cependant une initiative transpartisane portée par des député⋅es de tout bord (notamment les députées écologistes Lisa Belluco et Marie Pochon). Elle prend la forme d’une proposition de loi.
L’une des mesures phares proposées est de refuser l’installation de nouveaux médecins généralistes dans les secteurs déjà sur-dotés sauf en cas de départ d’un⋅e autre médecin. Une pétition en ligne a d’ailleurs été créée pour mettre cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale.
Malgré tout, pour le moment, l’État ne propose pas grand chose d’autre qu’une compétition entre les territoires.
Bien que ce dernier centralise encore très largement la compétence santé, le constat est clair : il défaille. Comme, sur de nombreux autres sujets, en outre.
Les collectivités locales et territoriales se trouvent donc face à un dilemme de taille : palier aux manques de l’État au prix de coupes budgétaires sur ses compétences réelles ou laisser la situation empirer en attendant qu’elle soit enfin prise à bras le corps.
Les budgets des collectivités n’étant pas extensibles, il convient de trouver des leviers d’action qui peuvent s’inscrire dans des projets plus larges. C’est ainsi que les écoles de la Ville de Douai n’exigent plus de certificats médicaux pour de courtes absences afin de désengorger les files d’attentes des médecins.
Une action qui pourrait s’étendre aux collèges (par le biais du département) et aux lycées (via la région), voire à toute l’éducation nationale.
On pourrait imaginer que lors de la prochaine "Faites du sport" à Douai, un stand de délivrance de certificats d’aptitude à la pratique du sport soit proposé en partenariat avec l’ARS pour éviter de solliciter un rendez-vous.
Bien, sûr, il faut également attirer les médecins grâce à un cadre de vie agréable et des équipements qui répondent à leurs aspirations. De ce point de vue, il y a des efforts à faire au niveau de notre agglomération (Douaisis Agglo).
On peine en effet à imaginer que la politique d’aménagement et de développement économique de celle-ci attire : artificialisation, développement automobile, commerce de périphérie… L’extrême inverse des centres villes métropolitains qui attirent aujourd’hui les jeunes médecins.
On peine à imaginer également comment un boulodrome de 196 pistes (9,5M€), une patinoire (14,5M€) et le plus grand planétarium au Nord de Paris (9,7 M€) apporteront. On imagine plutôt que le doublement de la RD500 (30M€) leur permettra de déserter plus vite le territoire face au rapport entre fiscalité locale et service rendu.
Parmi tous ces grands projets financés de concert par le département du Nord et Douaisis Agglo (présidés tous deux par Christian Poiret, ex maire de Lauwin-Planque), on peut regretter qu’il n’y ait pas eu plus de petits investissements, plus modestes mais plus vertueux, en phase avec les attentes des habitant⋅es présent⋅es et futures : maisons de quartier, tiers-lieux, pistes cyclables.
La gratuité des transports, en revanche, permet un meilleur accès au soin évitant le surcoût lié aux déplacements de plus en plus nécessaires liés à la disparition des médecins à proximité.
Enfin, la création de centres de santé peut permettre d’offrir, en derniers recours, une consultation dans des délais raisonnables aux personnes qui n’ont pas de médecin traitant.
Toutes les idées pour faire face à cette pénurie ne sont pas vu d’un bon œil de la part des médecins et des usager⋅es.
La première crainte, que je partage largement, est la création d’un prise en charge à deux vitesses : d’un côté des soins dispensés par un⋅e infirmier⋅e en pratique avancée (qui se substitueraient aux médecins), voire par téléconsultation et de l’autre, des médecins déconventionnés accessibles uniquement aux nantis ou aux usager⋅es d’une mutuelle particulière.
Les maisons médicales ou de santé sont également décriées car le suivi ne serait pas aussi personnalisé qu’avec le modèle du médecin de famille.
Il semble que les déserts médicaux soient pour certain⋅es une opportunité de faire basculer la France dans un modèle anglo-saxon… la vigilance est de mise pour sauvegarder la solidarité française sur le plan de la santé.
On l’a vu, le manque d’anticipation est responsable de cette situation et il ne faudrait pas retomber dans les même travers. Il apparaît nécessaire de décliner une action en fil rouge pour ne plus retrouver cette situation dégradée.
On l’a vu, c’est avant tout la limitation du nombre de médecins formé⋅es qui a conduit à cette situation. Il est nécessaire de retrouver une courbe constante et adaptée aux besoins de la population.
Les grands écarts provoquent nécessairement des remous et on peine à imaginer des arguments rationnels à de pareilles variations.
On conçoit bien que ne pas autoriser un médecin à s’installer dans son village ou sa ville natale, car sur-dotée, peut être un crève cœur. Cette situation est pour le moins insatisfaisante.
C’est pourquoi, il faut probablement envisager de susciter les vocations parmi les populations des déserts médicaux en encourageant et promouvant les carrières médicales dans les lycées de ces derniers.
Pour cela, bien entendu, une véritable méritocratie doit exister plutôt que les phénomènes de reproduction sociale souvent observés.
Il faut également prendre en compte les phénomènes de gentrification/paupérisation qui accompagnent la métropolisation des territoires. C’est principalement de cela qu’est victime le Douaisis. Je crains que les projets comme le RER en région au détriment du doublement de lignes entre les villes moyennes (on peut citer Douai-Cambrai) peut renforcer cet attrait pour la métropole.
Les solutions du type plus de certificats médicaux et/ou pas de certificats pour les licences sportives ne devraient pas perdurer une fois la situation revenue à la normale.
En effet, ces consultations, a priori anodines, sont parfois l’occasion du petit contrôle supplémentaire que l’on aurait pas fait en cas de pathologie à traiter.
Elle peuvent être la bulle d’air de la journée au regard de la charge mentale que peut représenter l’activité d’un⋅e médecin libéral⋅e et les situations humainement difficiles qu’il est nécessaire de gérer (cancers, fin de vie, alcoolisme, violences intra-familiales…).
Assister à des étapes importantes de la vie des patient⋅es (première licence, examen pour postuler à un concours etc…) est un facteur de liant et d’ancrage d’une activité libérale. Le médecin fini par, en quelque sorte, faire parti de la famille.
Il semble que les jeunes médecins ne veuillent pas toujours de cela, c’est aussi un constat qui interroge et qu’il faudrait probablement contrer.
Comme le rappelle l’adage “il vaut mieux prévenir que guérir”, une bonne façon de désengorger le système de santé est aussi de se préoccuper de la santé en amont avec une prévention à la hauteur des enjeux.
L’environnement dans lequel nous vivons et son niveau de pollution ont des conséquences directes sur notre santé. Notre région, l’une des plus polluées de France, est aussi celle qui a l’espérance de vie la plus faible de France métropolitaine.
Malgré cela, la région des Hauts-de-France, au travers de son président Xavier Bertrand, persiste à promouvoir l’agriculture conventionnelle. Portant le “local” comme unique vertu agricole, il se prive de levier importants (notamment les cantines des lycées) pour accélérer la transition vers une agriculture biologique des agriculteurices de la région. Ce faisant, des milliers de tonnes de pesticides sont déversées sur nos terres et se retrouvent, en bout de course, dans notre eau potable. Il va sans dire que le département suit cette dynamique, notamment dans les cantines des collèges également…
Le manque de volonté de la région pour développer le ferroviaire et l’empressement du département à construire de nouvelles routes ne sont pas non-plus de nature à améliorer ces facteurs (notamment via les micro-particules et par les micro-plastiques).
Au niveau de la commune de Douai des actions sont portées sur cette thématique au travers du sport-santé impulsé par Katia Bittner. Une activité physique régulière réduit fortement un grand nombre de pathologies.
Enfin, la politique de prévention contre l’alcoolisme devrait être renforcée dans notre région. À ce jour, le projet d’un musée de la bière est envisagé par la région, je doute que ce soit la priorité.
Je vous quitte donc avec une vidéo du plus célèbre des médecins Douaisiens Vincent Desbonnets, et sans commentaire, dans l’esprit originel de l’émission Strip Tease diffusée à l’époque sur France 3.
Publié le dimanche 12 mars 2023 à 21:00:00.